Mots-clé : Peter Stein

Pierre Boulez....moine et missionnaire

par

En contrepoint à notre interview du pianiste Ralph van Raat qui propose une première mondiale au disque d'une oeuvre de Pierre Boulez, nous vous proposons de relire intégralement l'entretien que le compositeur/chef d'orchestre avait accordé, en 2000, à Crescendo Magazine. Alors qu'il préparait la tournée de ses 75 ans avec le London Symphony Orchestra, il avait reçu Bernadette Beyne, co-fondatrice de Crescendo Magazine dans son bureau de l'IRCAM.

Vous venez d'enregistrer la 8e Symphonie de Bruckner, un compositeur auquel vous ne sembliez pas attaché… Pourquoi Bruckner… peut-être Sibélius? 

Un représentant de la Philharmonie de Vienne m'a dit un jour: "Vous n'avez jamais dirigé Bruckner. Pourquoi?". Bruckner ne faisait pas partie de mon éducation. Vous allez apprécier cet humour volontaire ou involontaire, mais les partitions de Bruckner, je les ai, complètes. Et savez-vous où je les ai achetées? A Darmstadt, pendant les cours d'été; c'est vous dire que cela remonte loin: je n'ai plus remis les pieds à Darmstadt depuis 1965! A la suite de quoi je les ai achetées? Probablement à la suite d'une conférence ou d'une conversation avec Adorno. En tout cas, j'en avais pris connaissance à cette époque mais je ne les ai jamais dirigées. Quand les musiciens de l'Orchestre de Vienne m'ont demandé pourquoi je ne les dirigeais pas, je me suis dit: "pourquoi pas"? Ca m'intéressait comme cela m'avait intéressé de diriger Parsifal quand Wieland Wagner me l'avait demandé en 1965. Il était encore plus incongru de diriger Wagner à cette époque que Bruckner aujourd'hui, des univers qui ne m'ont pas été familiers durant mon éducation. Je me souviens que Messiaen n'a jamais analysé une seule note de Bruckner; c'est le seul compositeur à propos duquel je l'ai vu sarcastique, lui qui, en général était d'une grande bonté. Un jour, il m'a dit: "ah! Bruckner, il n'y a que des ponts". Traduisez: "côté développements, il n'a pas beaucoup d'idées". C'était un espèce de préjugé français dont je me suis aujourd'hui débarrassé.

Sibélius, c'est autre chose. Il y a beaucoup de choses qui ne me passionnent pas chez Sibélius. J'ai parlé avec le manager du London Symphony et il a été question de la 7e Symphonie. Mais rien n'est encore sûr. J'ai entendu de superbes interprétations de Sibélius par George Szell avec l'Orchestre de Cleveland lorsque je partageais avec lui une tournée au Japon. C'était en 1967. Il y dirigeait la 4e. Si je m'aiguillais là-dessus, c'est quand même la 7e qui m'intéresserait davantage.