Mots-clé : Ruzan Mantashyan

A Lausanne, une Cendrillon à demi réussie

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En cette mi-avril 2024, l’Opéra de Lausanne affiche pour quatre représentations Cendrillon, l’un des grands ouvrages de Massenet qui a connu une création triomphale à l’Opéra-Comique le 24 mai 1899, s’est maintenu au répertoire jusqu’à 1950 puis a connu une seconde jeunesse grâce à Frederica von Stade qui a enregistré l’oeuvre en 1978 avant d’incarner le rôle au Festival d’Ottawa et à Washington, San Francisco et Bruxelles. Depuis septembre 2006, Joyce DiDonato a repris le flambeau en triomphant à Santa Fe, Barcelone, Londres et New York. 

Pour l’Opéra de Lausanne, Eric Vigié reprend la production que l’Opéra National de Lorraine avait présentée à Nancy en décembre 2019. Passons rapidement sur son affligeante laideur avec des décors de Paul Zoller présentant une façade de palais des boulevards et des salles Empire vides que creusent d’inutiles vidéo sans intérêt pour la trame, des costumes d’Axel Aust tout aussi indigents avec la malheureuse Fée qui n’a sauvé qu’un anorak délavé de ses fumeries de shit à Katmandou, flanquée d’esprits follets tout aussi barges poussant des caddies de supermarché, un pauvre Prince punk shooté rêvant de Michael Jackson, aussi emprunté dans ses entreprises amoureuses que l’infortunée Lucette/Cendrillon, contrainte d’arborer le noir des souillons de bénitier. Devant un tel salmigondis, la mise en scène de David Hermann se contente d’une mise en place des personnages et n’éveille qu’un regard las lorsque défilent les Filles de Noblesse, greluches dégingandées qui ont au moins le mérite de nous faire rire. L’on en dira autant de l’inénarrable Madame de la Haltière tentant d’engoncer ses formes opulentes dans un tailleur trop serré face à ses deux gourdes de filles, tout aussi grotesques. Que l’on est loin de la fantasmagorie féérique émanant du conte de Charles Perrault et de la dernière sentence du livret d’Henri Cain : « On a fait de son mieux pour vous faire envoler par les beaux pays bleus ! ».

Genève s’enthousiasme pour Guerre et Paix

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Après plusieurs mois où le streaming a remplacé les représentations en public, Aviel Cahn prend le parti d’ouvrir la saison 2020-2021 du Grand-Théâtre de Genève avec l’une des œuvres majeures du XXe siècle qui n’a jamais été représentée sur une scène suisse, Guerre et Paix de Sergey Prokofiev. 

L’on sait les vicissitudes que ce monumental ouvrage a connues depuis la composition qui s’est étagée d’avril 1941 à mars 1943, les exécutions partielles en concert, une version tronquée en huit scènes présentée au Théâtre Maly de Leningrad le 12 juin 1946 et finalement la création de la version complète en 13 tableaux donnée au Théâtre Bolchoi de Moscou le 15 décembre 1959 avec Galina Vishneskaya, Yevgeny Kibkalo, Irina Arkhipova, Alexei Maslennikov, Alexander Vedernikov et Pavel Lisitsian sous la direction d’Alexander Melik Pashayev. Depuis ce moment-là, Guerre et Paix s’est révélé au public international par la production de Graham Vick pour le Marinsky de Saint- Pétersbourg que Valery Gergiev a proposée un peu partout et celle de Francesca Zambello que l’Opéra Bastille a affichée en mars 2000.

Pour cette première suisse, la direction du Grand-Théâtre de Genève a frappé un grand coup en faisant appel à Calixto Bieito dont la réputation sulfureuse est liée à ses politiciens siégeant sur les toilettes au début d’Un Ballo in Maschera ou à son Don Giovanni, bête sexuelle hantant les bars louches. Donc avec une certaine appréhension, l’on attend le lever de rideau…et nous voilà dans un boudoir damassé rouge lambrissé or que la scénographe Rebecca Ringst a calqué sur l’appartement de Maria Alexandrovna au Palais de l’Ermitage. Sous de vastes surfaces plastifiées se profile une faune d’aristocrates dégingandés années soixante (costumés par Ingo Krügler) qui semble engluée dans un cauchemar. Selon les propos du metteur en scène, ces êtres luttent contre l’inconnu parce qu’ils ressentent en eux l’insécurité. Le monde qui les entoure n’est que négativisme et décadence. Ce parti pris fait table rase de tout ce qui pourrait édulcorer cette inexorable marche vers l’anéantissement. Ainsi Natacha Rostova perd sa candeur de provinciale pour devenir une adolescente délurée telle une Salomé de salon qui attise la convoitise des hommes. Le Prince Andrey Bolkonsky, désabusé à la suite de son veuvage, ose s’en approcher et s’en éprend. Mais la valse qui devrait les unir exprime leur névrose commune et se désarticule en soubresauts du dernier grotesque qui se répandent dans l’assemblée. Le rejet d’une union par le vieux Bolkonsky accélère la chute de la jeune fille humiliée qui finira par céder aux avances d’Anatole Kouraguine, fieffé coquin déjà marié, que chassera le compatissant Pierre Bezoukhov. Au lieu de nous transporter sur le champ de bataille de Borodino, la deuxième partie montre l’effondrement de cette société dégénérée dans le palais qui s’écroule sous les coups de canon. En un continuel va-et-vient, s’y succèdent les troupes russes ramenant le Prince Andrey qui se tresse la couronne d’épines du martyr et l’armée française commandée par un Napoléon qui perd pied devant une gigantesque maquette de la ville de Moscou et de son théâtre qu’une force supérieure détruira. Mais c’est au peuple russe que le Maréchal Koutouzov donnera la victoire.

Au festival de Peralada, le chant domine

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Le Festival Castel Peralada (Espagne) offre à nouveau pendant ses six semaines un large choix de spectacles : concerts, opéras, ballets, danse, récitals, jazz et pop généralement présentés dans le grand auditorium dans le parc du château ou dans l’Eglesia del Carme. Le grand auditorium peut aussi recevoir des productions scéniques d’opéra et, cette année, La Traviata (Verdi) était à l’affiche, annoncée comme « un virage à 180° pour vivre une histoire d’amour sous une nouvelle perspective : celle d’une femme libérée, un esprit libre ».

Le Sempre libera de Violetta est projeté à maintes reprises sur le décor avec des citations (de femmes écrivains) relatives aux droits de la femme. Sans doute le metteur en scène Paco Azorin voulait-il à tout prix faire passer son message, mais ce qu’il propose est bien loin du livret et de la musique de Verdi : ainsi, ce n’est pas au nom de la liberté que Violetta quitte Alfredo. Et que vient faire cette adorable petite fille qui se promène dans l’histoire ? Pourquoi le décor de Paco Azorin se résume-t-il à quatre tables de billards dont la disposition varie, suspendus parfois ? Et pourquoi des acrobates à l’assaut des murs, focalisant l’attention du public -surtout quand un billard fait mine de se détacher- alors que les chanteurs expriment leurs émotions ?