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Violence et tragédie dans « Lady Macbeth de Mstenk » pour l’ouverture de saison au Liceu.

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« L’eau du lac est complètement noire. Noire comme ma conscience. Et, lorsque le vent souffle dans le bois, le lac fait des vagues. Des vagues qui font peur », chante Katerina Ismaliova au quatrième acte de ce grand ouvrage de Dmitri Chostakovitch, une des pièces-clé de l’opéra du XXe siècle. Crée en 1934, l’ouvrage connut un succès débordant jusqu’à ce que le dictateur Iósif Stalin fasse parvenir au journal Pravda (Vérité… en russe ) en 1936 une lettre non signée critiquant les dérives « formalistes » du compositeur, avec une menace de mort à peine voilée. Autant dire que l’auteur s’abstint dès lors de produire en public d’autres ouvrages pour la scène. En public car, en privé et sous cape, circulait une satire intitulée « Raïok anti-formaliste » (1948) pour quatre basses et chœur, avec orateur et accompagnement au piano sur des paroles du compositeur. Les personnages seraient le portrait de Staline et de ses censeurs proéminents. : Jdanov, Chepilov ou Apostolov, affublés de sobriquets « ad hoc ». Dont l’un compare cette musique formaliste « à une fraise de dentiste ou à des hurlements d'abattoir ». Il faut reconnaître que, en Occident, il persiste une certaine méfiance envers la musique de Chostakovitch argumentée par des critères qui ne sont pas si éloignés de ceux des juges soviétiques. Pendant que le sanguinaire dictateur envoyait à la mort ou au goulag des milliers de compatriotes et lançait ses pogroms antisémites, il continuait d’écouter compulsivement les enregistrements de l’inoubliable pianiste juive Maria Júdina…  Mensonge et pouvoir toujours ensemble ! 

Cette petite lettre aura conditionné l’avenir de l’opéra russe et mondial pour les 50 ans suivants. Nos actuels apprentis dictateurs, en revanche, ne sont même plus aptes à accorder une oreille attentive à cet art si complexe qu’est l’opéra. A ce propos, Jean-Marc Onkelinx écrit : « Ce que le régime soviétique avait parfaitement compris, c’est que l’art est un langage très efficace pour la propagande, mais très dangereux s’il est hors de contrôle. Car, en fin de compte, toutes les douleurs et les angoisses de Chostakovitch ne sont que le reflet des souffrances de son peuple, une vérité de propos qui ne peut que déranger profondément les autorités soucieuses de maintenir le dit peuple dans l’ignorance et la terreur. » 

Pour sa part, Chostakovitch n’abandonnera pas la musique vocale et laissera un corpus de « lieder » plus que considérable. Sur des grands poètes russes comme Alexandre Pouchkine, Marina Tsvetayeva ou Aleksandr Blok, mais il porte aussi son intérêt sur des thèmes comme celui de la révolution grecque, (à l’instar de Ravel) sur des poètes juifs, (comme Ravel aussi !) sur la poésie japonaise et aussi une curieuse restitution en russe de mélodies espagnoles apportées par les « enfants de la guerre civile », une surprenante acculturation qui aura plus tard des retombées intéressantes dans le monde musical. Sans oublier sa Quatorzième Symphonie, une sorte de grande « suite de Lieder » sur des textes de García Lorca (Poema del Cante Jondo), Apollinaire, Rilke et Küchelbecker. 

Passions exacerbées à Berlin : Francesca da Rimini de Zandonai 

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Riccardo Zandonai (1883-1942) : Francesca da Rimini, tragédie en quatre actes. Sara Jakubiak (Francesca), Jonathan Tetelman (Paolo il Bello), Ivan Inverardi (Giovanni Sciancato, nommé Gianciotto), Charles Workman (Malatestino dall’Occhio), Alexandra Hutton (Samaritana), Samuel Dale Johnson (Ostasio), Meechot Marrero (Biancofiore), Amira Elmadfa (Smaragdi), etc. Chœurs et Orchestre du Deutsche Oper Berlin, direction Carlo Rizzi. 2021. Notice et synopsis en anglais et en allemand. Sous-titres en italien, anglais, allemand, français, japonais et coréen. 140.00. Un DVD Naxos 2.110711. Aussi disponible en Blu Ray. 

A Genève, une Elektra en équilibre… instable   

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Depuis les représentations de novembre 2010 avec Jeanne-Michèle Charbonnet et Eva Marton dirigées par Stefan Soltesz qui n’ont pas laissé de souvenir mémorable, le Grand-Théâtre de Genève n’a pas remis à l’affiche l’Elektra de Richard Strauss. Onze ans plus tard, son directeur, Aviel Cahn, fait appel au régisseur allemand Ulrich Rasche qui vient de réaliser à Munich la production de la tragédie éponyme de Hugo von Hofmannsthal. Pour la mise en musique de Richard Strauss, le scénographe conçoit une structure métallique pesant plus de onze tonnes surmontée d’une cage de près de deux tonnes constituant une tour écrasante, entourée de deux disques rotatifs lumineux qu’arpentent inlassablement les cinq servantes et leur surveillante selon une dynamique dictée par le rythme musical. Sous de  fascinants éclairages élaborés par Michael Bauer accentuant la sensation de froideur claustrale du royaume des Atrides, le pivot central se fractionne afin de livrer un espace de jeu en déclivité, ce qui oblige les protagonistes à s’arrimer par une corde à un noyau central. Pour cette raison, les costumes de Sara Schwartz et de Romy Springsguth ne sont donc que des justaucorps gris noirs équipés d’une ceinture de varappeur qui permettent  aux quinze solistes ce perpétuel va-et-vient sans la moindre direction d’acteur. Il faut donc relever le mérite de chacun de tenter de chanter sa partition, même si, pour la plus grande part d’entre eux, il est presque impossible de rendre le texte intelligible. Mais cette sempiternelle mise en mouvement finit par lasser en générant un ennui que ne pourront dissiper les éclatantes lumières de la péroraison.