Mots-clé : Valery Ovsyanikov

A la Scala de Milan, un Casse-Noisette éblouissant  

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Depuis février 1938, un ballet aussi célèbre que Casse-Noisette n’a été représenté intégralement que deux fois à la Scala de Milan. Et il a fallu attendre septembre 1969 pour que Rudolf Nureyev y propose une nouvelle production dans des décors et costumes de Nicholas Georgiadis, production qui a connu un tel succès qu’elle a donné lieu à douze séries de représentations jusqu’à décembre 1993. Aujourd’hui, près de trente ans plus tard, Aleth Francillon, collaborant avec Manuel Legris, l’actuel directeur du corps de ballet, lui redonne un lustre éclatant.

Si on la compare à celle de George Balanchine qui cultive le caractère féérique du conte de Noël, cette lecture se réfère au fantastique noir d’E.T.A. Hoffmann, ce que démontre le décor de Nicholas Georgiadis consistant en une façade de demeure bourgeoise, assombrie par l’entrelacs de lierre et de ronces, dont la porte s’ouvre sur un salon Liberty aux meubles vétustes. Les propriétaires, le Dr Stahlbaum et son épouse, reçoivent plusieurs officiers ainsi que cinq ou six familles. Les enfants suivent à la trace un étrange personnage à l’œil bandé comme un pirate, Herr Drosselmeyer, qui semble les subjuguer comme le joueur de flûte de Hamelin. Les trois marionnettes qu’il leur présente, un soldat, une poupée, un guerrier arabe, s’animent comme par enchantement en mouvements saccadés. Le casse-noisette, offert en cadeau à Clara, sera démantibulé par Fritz, son frère jaloux, puis pansé soigneusement pour finir dans les bras de la fillette alors qu’elle s’endort. Surgissant du sommet de l’horloge, un hibou annonce le début de la scène fantastique amenant l’arbre de Noël à grandir démesurément, tout comme les objets qui parsèment la pièce. D’énormes souris envahissent alors le plateau sous la conduite de leur Roi à la stature de géant (campé avec talent par Gioacchino Starace). Tandis que les soldats de plomb enfourchent les chevaux de bois, le casse-noisette (impétueux Valerio Lunadei) prend forme humaine pour assurer leur commandement. A la différence des autres lectures, c’est Drosselmeyer qui se métamorphose en Prince Charmant pour entraîner Clara dans une grotte enchantée, envahie par de monstrueuses chauves-souris qui la terrorisent. Le cauchemar touche à sa fin, les voiles noirs démesurés disparaissent pour faire place aux marionnettes qui s’animent. Les invités prennent congé, l’apothéose du final se mue en points de suspension, alors que le motif du songe réapparaît pendant que Clara est éveillée par ses parents.

Mais en cette fantasmagorie inquiétante, la chorégraphie de Rudolf Nureyev ménage les accalmies avec une Valse des flocons de neige, fredonnée à bouche fermée par le Chœur des voix blanches du Teatro alla Scala et si minutieusement réglé qu’il semble impossible d’imaginer mieux. Le divertissement de l’acte II est d’une rare originalité avec une Danse arabe envoûtante comme une incantation, un Trépak aussi burlesque que le trio chinois à la phénoménale élasticité. L’exquis biscuit XVIIIe impliquant un pastoureau et deux bergères (Nicola Del Freo, Linda Giubelli, Agnese Di Clemente) fait montre d’une virtuosité ébouriffante qui débouche sur une Valse des fleurs vieux rose, rigoureusement agencée comme un bal de cour. Une fois de plus, l’on relèvera la perfection des ensembles due au travail de préparation rigoureux de Manuel Legris.

Un éblouissant Don Quichotte par le Ballet de l’Opéra de Paris 

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Pour les fêtes de fin d’année, le Ballet de l’Opéra de Paris affiche, pour dix-huit représentations à la Bastille, l’un des piliers de son répertoire, Don Quichotte, dans la production que Rudolf Nureyev avait conçue pour la compagnie en 1981. L’on sait le travail considérable que nécessita le remaniement de la chorégraphie de Marius Petipa datant de 1868 et s’articulant en un prologue et trois actes. Le danseur collabora avec le chef d’orchestre John Lanchberry qui révisa la partition de Ludwig Minkus en déplaçant certains numéros, en en supprimant quelques-uns et en réorchestrant même certaines séquences. Cette première mouture sera présentée à la Staatsoper de Vienne en 1966 puis transmise à Marseille, Zürich, Oslo et à l’Australian Ballet où sera tourné un film en 1972. Mais dix-neuf ans plus tard, à la demande de l’Opéra de Paris, Rudolf Nureyev élaborera une seconde version en accentuant le caractère inquiétant du Prologue et en ajoutant de nouvelles variations au rôle du barbier Basilio ; et le résultat sera affiché au Palais Garnier le 6 mars 1981 avec des décors et costumes de Nicholas Georgiadis. Toutefois, en 2002 sera commandée une nouvelle production constituée de décors d’Alexandre Belaiev évoquant l’Espagne mauresque du XVIIIe siècle et de costumes d’Elena Rivkina inspirés des toiles de Goya.