Un plein album consacré aux luxuriantes pages instrumentales de Massimiliano Neri
Massimiliano Neri (c1620-c1670) : Sonate e canzone a quattro da sonarsi con diversi stromenti in chiesa & in camera Op. 1 [extraits] ; Sonate da sonarsi con varij stromenti a trè fino a dodeci [extraits] ; Salve Virgo benignissima ; Ad charismata caelorum. Caterina Giani (c1630-c1673) : Liebster Jesu. Giulia Genini, Concerto Scirocco. Voces Suaves. Christina Boner, soprano. Jan Thomer, altus. Raphael Höhn, ténor. Davide Benetti, basse. Livret en anglais, français, italien. Février 2022. TT 76’18 . Arcana A544
De mémoire, on ne connaît pas d'autre disque entièrement voué à Massimiliano Neri. Sur fond d’allégeance à la faction impériale, d’intrigues avec la cour viennoise, de rivalités politiques, qui sont adroitement rappelées dans le livret, sa carrière se déroula essentiellement à Venise, avant de s’achever à Bonn, au service du Prince-électeur de Cologne. Organiste et maître de chapelle, il lègue trois recueils, tous abordés dans le présent album.
Un premier opus de Sonate e canzone pour « l'église ou la chambre » (1644) manifeste une ingénieuse construction, férue de rhétorique. Un second opus se joue de trois à douze instruments, –et non pas trois à huit comme indiqué par erreur dans les traductions française et anglaise de la notice, pages 4 & 10. En ce second recueil de 1651, le compositeur n'hésite pas à mêler les combinaisons sonores pour mettre en évidence l'articulation formelle, à confronter les timbres, à opposer les masses selon la manière polychorale vénitienne, cela dans une parure parfois complexe (Sonata à nove). Effet particulièrement délicieux dans la Sonata Decima où les flûtes alternent avec théorbe, violon et alto, ou dans la Seconda où une pétillante flûte soprano tient le dessus, en dialogue avec violon et un loquace sacqueboute. Les contributions de chaque musicien sont précisées en page 29.
Le disque commence et s'achève par les plus larges effectifs, avec cornet, sacqueboute et douçaine, celle-ci tenue par Giulia Genini, la meneuse de l'équipe. Dans sa note d'intention, celle-ci explique avoir privilégié les pièces « restées aussi originales que possible » ou celles « dont la reconstruction concerne principalement les voies médianes », dans la mesure où les éditions n'ont pas toutes été préservées dans leur intégrité. Similairement, le programme a choisi d'inclure les deux seuls motets dont nous gardions une trace d'époque, initialement parus dans une compilation vénitienne (1656), ainsi qu'un verset du choral Jesu meine Freude (archivé dans le fonds Düben d’Uppsala) écrit par la chanteuse florentine Caterina Giani, qui devint l'épouse de Neri.
On pourra apprécier ces trois compléments vocaux, confiés aux invités de Voces Suaves (ils ont déjà collaboré dans un précédent CD consacré à Stefano Bernardi), ou regretter que davantage d’œuvres purement instrumentales n'aient été investiguées. Au demeurant, cette anthologie d'une heure et quart ne laissera personne sur sa faim. D'autant que l'interprétation fait son bonheur de ce kaléidoscope animé par de fréquents contrastes de couleurs et de tempo. La fantaisie ne se débride certes pas en orgie, mais on doit saluer une restitution particulièrement fine, qui porte l'attention vers l'intelligence des développements thématiques autant qu'elle charme l'oreille par ses innombrables chatoiements. Après Music for the eyes. Masques and Fancies que nous avions salué dans nos colonnes, on ne peut encore que féliciter le subtil travail que Concerto Scirocco accomplit dans les prospères canevas de Massimiliano Neri.
Son : 8,5 – Livret : 9,5 – Répertoire : 8 – Interprétation : 9,5
Christophe Steyne