Une Dame aux camélias de belle tenue

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Pour la sixième fois à l’Opéra de Paris, est reprise La Dame aux camélias, le ballet en un prologue et trois actes élaboré par John Neumeier à l’intention de la grande ballerine Marcia Haydée qui en assura la création avec le Ballet de Stuttgart le 4 novembre 1978. Puis l’ouvrage entra au répertoire parisien le 20 juin 2006 ; et c’est dans le rôle de Marguerite Gautier qu’Agnès Letestu, aujourd’hui répétitrice invitée, fit ses adieux à la scène en octobre 2013.

Dans les décors et costumes d’origine conçus par Jürgen Rose sous les lumières de Rolf Warter, Kevin Haigen et Janusz Mazon, les deux répétiteurs patentés, redonnent vie au spectacle qui véhicule toujours le même impact émotionnel grâce à la musique de Chopin choisie par le chorégraphe selon une suggestion du chef d’orchestre Gerhard Markson.

Tandis que, sur scène, le pianiste Frédéric Vaysse-Knitter développe le Largo de la Troisième Sonate en si mineur, le regard se fixe sur une affiche de vente aux enchères puis sur un canapé où trône le portrait de l’héroïne, devant lequel s’immobilise la fidèle suivante Nanine campée par Ninon Raux. Parmi les acheteurs potentiels se faufilent Monsieur Duval (Andrey Klemm) puis son fils Armand, incarné magistralement par Stéphane Bullion qui, de ce rôle, a fait l’un de ses chevaux de bataille. En passe de s’évanouir sous le coup de l’émotion, le jeune homme raconte son histoire.

Dans la fosse, un nouveau soliste, Emmanuel Strosser, restitue intégralement le Deuxième Concerto en fa mineur op.21 en dialoguant avec un Orchestre de l’Opéra peu concerné sous la baguette de James Tuggle, incapable de mettre en place des trombones goguenards qui massacrent allègrement le Maestoso initial. Le rideau se lève sur le public du Théâtre des Variétés où figure la blonde Marguerite Gautier personnifiée par la radieuse étoile Eleonora Abbagnato. Sur la scène, l’on danse une Manon Lescaut avec Sae Eun Park et Fabien Révillion, touchants par leur fougueuse jeunesse. Selon un procédé de mise en abyme, la protagoniste craint de ressembler à Manon, tandis qu’Armand se voit davantage concerné par Des Grieux, même si le dénouement peut être tragique. La suivant chez elle en compagnie de Prudence Duvernoy (Muriel Zusperreguy) et de Gaston Rieux (Paul Marque), il provoque la jalousie du Comte de N (Adrien Bodet) ; puis resté seul avec elle, il ébauche un pas de deux traduisant une violence passionnée qui finit par les terrasser ; mais éperdument épris, il persiste dans ses avances, quoiqu’un bal masqué lui révèle ensuite le vrai visage de la courtisane adulée.

Le deuxième acte tient du tableau de campagne idyllique où Marguerite s’est réfugiée aux frais de son protecteur, le Duc (Laurent Novis). Six jeunes hommes dansent avec les invitées, alors que le piano de Frédéric Vaysse-Knitter enchaîne la Première Valse en la bémol majeur aux Trois Ecossaises, où Prudence joue les aguicheuses. Mais un coup de poing violent asséné sur le clavier interrompt la Valse du regret : le Duc s’en prend à Armand et à sa maîtresse qui préfère renoncer à la richesse factice. En fosse, Emmanuel Strosser reprend le Largo, sublime aveu passionné où le téméraire emporte à bout de bras celle qu’il aime. Puis sur le canevas tissé par quatre des plus sombres Préludes de l’opus 28, a lieu la confrontation de Marguerite et de Monsieur Duval, se donnant une contenance en faisant les cent pas avant d’obtenir le sacrifice de la liaison. Et c’est par Nanine qu’Armand apprendra l’horrible vérité.

Pour le dernier acte qui a lieu sur les Champs-Elysées, l’orchestre regagne sa place afin de dialoguer avec Frédéric Vaysse-Knitter dans la première partie de la Fantaisie sur des airs polonais op.13. Marguerite rivalise de coquetterie avec sa consoeur Olympia (Bianca Scudamore) qu’Armand courtise pour assouvir sa jalousie. La Première Ballade en sol mineur op.23 marque une nouvelle rencontre où les deux amants s’étreignent avec l’énergie du désespoir, mais en vain puisque lors d’un bal en noir (sur l’Andante spianato et Grande Polonaise op.22) éclate l’offense publique avec les liasses de billets de banque jetées à la face de la dévoyée. Et le Larghetto du Premier Concerto en mi mineur op.11 voit Nanine remettre à Armand le journal de sa maîtresse qu’il lit dans l’exaltation : une dernière fois, au théâtre, s’était déroulée devant ses yeux l’histoire de Manon et son pathétique dénouement ; effondrée, elle était rentrée chez elle. Et c’est dans le dénuement le plus total, sans avoir revu celui qu’elle adorait, qu’elle s’était éteinte, tandis que le piano lancinant reprenait le Largo, exsangue…

Au rideau final, le public ovationne tapageusement les interprètes, en décernant d’interminables ovations au duo magistral Eleonora Abbagnato-Stéphane Bullion.

Paul-André Demierre

Paris, Palais Garnier, le 15 décembre 2018

Crédits photographiques : © Svetlana Loboff/ONP

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