Une production somptueuse et respectueuse du chef-d'oeuvre de Tchaikovski

par

Piotr Ilitch TCHAIKOVSKI (1840-1893)
Eugene Onegin
Piotr BECZALA (Lensky), Mariusz KWIECIEN (Onegin), Anna NETREBKO (Tatiana), Oksana VOLKOVA (Olga), Elena ZAREMBA (Madame Larina), Alexei TANOVITSKI (Prince Gremin), Larissa DIADKOVA (Filippyevna), John GRAHAM-HALL (Monsieur Triquet), Choeur et Orchestre du Metropolitan Opera de New York, dir.: Valery GERGIEV
2010-DVD-NTSC-164'-Textes de présentation en français, anglais et allemand-DG 0735114 (2 dvd)

L'impression très favorable ressentie à la vision et l'audition de cette production d'Eugene Onegin doit sans doute beaucoup à un mise en scène « normale ». Pour une fois, nous voyons des personnages habillés tels que ceux que Tchaikovski avait imaginés, dans des intérieurs et des lieux conformes à l'imagination tant du compositeur que de Pouchkine. Au bal du 3ème acte, la robe de Tatiana a toute l'élégance et le chic requis, les messieurs arborent les tenues de leur rang social élevé, le tout dans un univers très sobre de colonnades classiques. L'intérieur de la maison de Tatiana au premier acte est typique d'une demeure bourgeoise de l'époque. Il faut dire que nous sommes au Met, un des dernières institutions partisanes de productions respectueuses – je n'aime pas le terme « traditionnel », souvent traduit de manière réductrice et péjorative dans ce contexte. En bref, pour une fois, on ne se sent pas trahi par un metteur en scène qui met son ego au-dessus de toute le reste. Très léger détail, on ne comprend pas qu'à la fin de la scène des lettres, Tatiana chiffonne et jette à la poubelle son dernier essai alors qu'elle chante dans le même temps « j'ai presque fini »... Valery Gergiev est très éveillé et mène son petit monde avec le style qu'on lui connaissait au début de sa carrière: alerte, lyrique; un véritable aède moderne. Et, avec lui, l'orchestre new yorkais acquiert des sonorités que celui du Mariinsky ne dédaignerait pas: un exploit en soi. Du côté des chanteurs, on n'a pratiquement que des louanges à faire, notamment vis-à-vis d'une Netrebko sobre, poignante, très concentrée et décidée à laisser au vestiaire tout effet déplacé. Mention particulière pour le Onegin de Marius Kwiecien, aussi excellent chanteur qu'acteur, qui porte en lui toute la désillusion de l'homme blasé et cynique. Les seules réserves iront au monsieur Triquet John Graham-Hall, apprêté, oui, mais jusqu'à la caricature, et, plus grave, au Lenski de Piotr Beczala. Son accent polonais est quelque peu gênant pour les russophones mais c'est davantage l'affectation dont il affuble son personnage et une voix aux nombreuses limites qui agacent. En bref, un quasi sans faute pour une production qui nous réconcilie quelque peu avec l'opéra « made in 21st century », dont les principes édictés par une petite clique d'oligarques de l'art dramatique semblent faits pour dégoûter le mélomane et faire table rase de la destination première de ce genre musical, à savoir celle du « petit peuple » dont la sensibilité s'enflammait aux accents si vrais de Verdi, Donizetti, Puccini, Weber, Lortzing, Rimsky-Korsakov... ou Tchaikovski.
Bernard Postiau

Son 9 - Livret 9 - Répertoire 10 - Interprétation 8

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