Une voix de mezzo trop peu connue, Sarah Connolly

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Dans la série de ses récitals avec piano, le Grand-Théâtre de Genève invite pour la première fois la mezzosoprano anglaise Sarah Connolly que l’on connaît mal sous nos latitudes, même si le Met a consacré ses incarnations du Compositeur d’Ariadne auf Naxos et de Mlle Clairon de Capriccio. Pour ce récital, elle est accompagnée par le pianiste Julius Drake, entendu ici lorsqu’il dialoguait avec Ian Bostride, Joyce DiDonato et Willard White.

Leur programme est exigeant, car il débute par cinq lieder de Johannes Brahms. Tandis que le clavier se place en retrait pour ne jamais couvrir la voix, la première phrase de Ständchen op.106 n.1, « Der Mond steht über dem Berge », révèle un timbre corsé s’irisant de reflets radieux et une ligne somptueuse qui s’allège avec le rubato. Son legato magistral se déploiera ensuite dans Die Mainacht op.43 n.2 et dans Feldeinsamkeit op.86 n.2, soutenu qu’il est par une technique de souffle à toute épreuve. Sa diction extrêmement soignée lui permet de mettre en valeur l’expression de chaque mot, tout en glissant une inflexion dubitative dans  Da untem im Tale, tournant au tragique dans Von ewiger Liebe. Sont proposées ensuite cinq mélodies d’Hugo Wolf : Auch kleine Dinge können uns entzücken est d’une désarmante simplicité face au declamato de Gesang Weylas, d’une solennelle profondeur que dissiperont les audaces harmoniques de Nachtzauber. Dans Kennst du das Land ?, affleurent les interrogations angoissées étirant la ligne jusque dans le grave avant d’atteindre le paroxysme en des « Dahin ! » désespérés, nous remémorant Elisabeth Schwarzkopf lors de ses derniers récitals ; en pensant encore à elle, l’on retrouve Die Zigeunerin où un véritable sort est fait à des mots tels que « Pelzlein » ou « Stutzbart » avec ces « la,la,la » du refrain, susurrés  comme une étrange incantation.

En seconde partie, Sarah Connolly fait valoir une diction française tout aussi policée que sa prononciation allemande. Elle nous fait découvrir d’abord quatre mélodies d’Albert Roussel en jouant d’ironie cynique pour décrire Le bachelier de Salamanque, en profitant de l’évanescente fluidité de l’accompagnement pour dépeindre Le jardin mouillé, alors qu’Invocation confinera à la rêverie nostalgique, Nuit d’automne, à la complainte morose. Le recueil des Chansons de Bilitis de Claude Debussy est ensuite présenté comme de délicates estampes aux coloris diaphanes où se glisse une nuance d’anxiété, tandis que se dresse Le tombeau des naïades.

Et finalement l’on renoue avec une atmosphère de tragique oppressant en un recueil d’Alexander von Zemlinsky, les Six Lieder d’après des poèmes de Maurice Maeterlinck, où la déclamation narrative pactise avec de fantasmagoriques univers.

En bis, la chanteuse et son pianiste nous proposent une fascinante ballade anglaise évoquant le roi David, qui nous fait déplorer l’absence de pages de Vaughan-Williams, Delius ou Stanford, souverainement ignorées par le public d’en-deçà de la Manche !

Crédits photographiques : Christopher Pledger

 Genève, Grand-Théâtre, 7 mars 2019

 Paul-André Demierre

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