Widor, intégrale de l’œuvre d’orgue sur trois Cavaillé-Coll et principalement à La Madeleine

par

Charles-Marie Widor (1844-1937) : les dix Symphonies opus 13, 42, 70, 73. Suite latine Op. 86. Trois Nouvelles Pièces Op. 87. Bach’s Memento. Marche Américaine (trans. M. Dupré). Marche Nuptiale (Conte d’avril no 6). Joseph Nolan, orgues de l’église La Madeleine de Paris, de la Basilique Saint-Sernin de Toulouse, de l’église Saint-François de Sales de Lyon. Mai 2011, mai 2013, mai 2014 (réédition). Livret en anglais. Coffret de 8 CDs. TT 459’. Signum SIGCD596

Sans même parler de la célébrissime Toccata, les symphonies de Widor restent un répertoire achalandé, au concert ou au disque. Pourtant, relativement peu d’intégrales furent menées à bien. Chez Naxos, Christian Van Blohn va-t-il embrayer sur les quatre premières symphonies qui furent d’abord confiées à Wolfgang Rübsam chez ce label, lui permettant d’achever un cycle à Sankt Ingbert ? En attendant, on compte Pierre Labric (Saint-Ouen de Rouen), Günther Kaunzinger (Novalis), Hermann van Vliet (Festivo) sur un panel de Cavaillé-Coll, à l’instar de Pierre Pincemaille (Solstice). Plus récemment, Hans Ole Thers à Copenhague (Classico) et Winfried Lichtscheidel chez Ambiente. Conduite au long de la décennie 1990, l’intégrale de Ben van Oosten mérite sa réputation. D’ailleurs Joseph Nolan lui fait allusion dans la notice de ce coffret qui rassemble des sessions jusque-là disponibles en CD séparés. Signé d'Ateş Orga, le texte de présentation compile l’analyse qui les accompagnait, ici réaménagée pour des besoins de cohésion. On en saluera la perspicacité et le développement, déployé sur 21 pages. On regrette seulement que les registrations ne soient mentionnées, et que l’absence de traduction risque d’écarter cette science du lecteur non-anglophone.

Dans ses lignes introductives, Joseph Nolan se souvient des cinq nuits de mai 2011 en cette église de La Madeleine qu’il avait choisie pour son intégrale. Une vaste acoustique, un instrument prestigieux, même si de taille raisonnable. Et un programmateur qui s’avéra opportun voire nécessaire pour procéder aux changements de registration dans un temps drastiquement limité. Heureusement, l’interprète était déjà familier des partitions, jouées en concert et pour certaines (1, 2, 4) déjà confiées aux micros d’ASV voilà une vingtaine d’années. En mai 2014, il réenregistra l’ultime symphonie dans le lieu auquel elle fut dédiée : la Basilique Saint-Sernin de Toulouse. À notre connaissance, la « Romane » captée en première intention à La Madeleine n’a jamais été publiée par Signum : dommage que ce coffret n’ait trouvé l’occasion de nous l’offrir en bonus.

Concernant les choix d’édition, on notera pour la Deuxième l’inclusion du Scherzo en mi majeur (évincé de la révision de 1901) et du Salve Regina qui le remplaça. Tandis que pour la Huitième, on remarque l’absence du Prélude certes retranché à compter de la révision de 1901. Outre la gaillarde Marche américaine, un brin pesante sur les claviers de Saint-François de Sales, ce coffret intègre trois pages tardives : le Bach’s Memento (1925) dont le compositeur assura l’audition au Conservatoire américain de Fontainebleau, la Suite latine de 1927, les Trois Nouvelles Pièces de 1934. On réalise ainsi combien les sept décennies de la production widorienne (les ébauches datent du milieu des années 1860) s’étagent entre les premières créations d’Alexandre Guilmant (1837-1911) et les prémices d’Olivier Messiaen (Le Banquet Céleste en 1928). Ces trois œuvres figurent sur un récent CD de Denis Tchorek chez Hortus, 2017, et sont ici magnifiquement servies à Saint-Sernin.

Même sans comparer au fringant Kaunzinger à Waldsassen, ou Joris Verdin à Royaumont (Ricercar), aussi prestes qu’à leur habitude, l’écoute de l’opus 13 révèle d’emblée que Joseph Nolan privilégie des tempos confortables qui laissent respirer le texte et l’instrument. Pour autant, la Marche pontificale est abordée avec une fraicheur qui évacue opportunément son sulpicianisme.

Dans l’ensemble, les interprétations se distinguent autant en assumant le panache qu’en soignant les moments d’atmosphère ou de caractérisation. À cet égard, la Septième est particulièrement réussie : les liztiennes vagues d’arpèges de l’allegro non troppo, la conclusion vaporeuse du Largo envoûtent littéralement, avant un Finale arboré avec éclat. Sous les doigts de Joseph Nolan, les mouvements conclusifs filent droit sur une trame claire, ainsi celui de la Huitième qui se dispense de pompiérisme : une lisibilité qui s’obtient par des tempos légèrement freinés par rapport aux indications métronomiques. En ce même opus, l’Allegro se montre plus élégant que mordant (on y préfère Jean-Baptiste Dupont que nous avons dernièrement apprécié, chez Audite), et le pédalier reste brumeux dans l’Allegro risoluto. Les édifiantes Variations sont en tout cas rendues avec une rare autorité : on succombe à la suavité du coloris dans l’Adagio, où la palette veloutée de La Madeleine subjugue là encore. On thésaurisera le Minuetto de la Troisième, délicieusement ciselé, ou la rayonnante expressivité de l’Andante sostenuto de la Gothique. Hélas, la Romane nous semble abordée avec un volontarisme qui en dissipe le mystère ; un Finale épris de brio nous éloigne définitivement des visions d’éternité de Daniel Chorzempa (Philips) ou de la tendre ferveur de Michel Bouvard (Tempéraments), chacun dans le même édifice toulousain.

Dans la Sixième, l’Intermezzo mitonne à petit feu là où on aurait souhaité effervescence à gros bouillon. Joseph Nolan ne passe pas à côté de la sombre grandeur de l’Allegro initial, sculptant avec art les séquences dramatiques. La prestation ne reproduit toutefois pas le prodigieux zèle d’Olivier Vernet, vertigineux à Orléans (Ligia), certes un des enregistrements widoriens les plus épatants qu’on ait entendu. Et pourtant, en fin de parcours, le soudain embrasement sur les anches produit son effet : électrisant ! La même chamade en conclusion de l’Allegro vivace de la Cinquième convoque en revanche une péroraison qu’on peut estimer clinquante, surtout après une série de variations serties avec précaution. L’abondante discographie de cette symphonie procure foule d’alternatives, certaines notoires et non moins valeureuses : Simon Preston (DG), le trépidant Günther Kaunzinger à Limbourg, Matthias Eisenberg à Schneeberg (Ram), pour citer quelques coups de cœur personnels, et bien sûr Daniel Roth sur la console de Saint-Sulpice (Motette) chère à Widor. Face à ces références, les timbres de l’Andantino et de l’Adagio précieusement distillés par Joseph Nolan, ne sont pas moins convaincants que la Toccata galbée avec une séduisante souplesse.

Bien que réalisées dans des mêmes conditions, les prises de son parisiennes apparaissent variables en perspective et densité, peut-être ajustées en post-production. On ressent une certaine opacité et parfois un manque de consistance et de définition, une dynamique écrasée, et une dureté dans des tuttis un peu constipés. Impression contrebalancée par maints moments enveloppants dans les mouvements lents. Cette déception ne classera pas ce coffret dans la catégorie audiophile, mais en tant qu’intégrale incluant l’ensemble du catalogue de Widor, dans des interprétations où les nombreuses qualités font taire les rares réserves, cette réédition peut légitimement séduire. Ne serait-ce que par un orgue rarement enregistré dans Widor (qui d’autre à part Pierre Pincemaille, Frédéric Ledroit, ou François-Henri Houbart y ont gravé une symphonie complète ?!) et qui utilisé pour la quasi-totalité du corpus invite ici à une écoute cohérente.

Son : 7,5 (Paris) - 8,5 (Toulouse) – Livret : 9 (très détaillé mais non traduit) – Répertoire : 7-10 – Interprétation : 8-10

Christophe Steyne

 

 

 

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