A Genève : triomphal Charles Dutoit

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Que l’Orchestre de la Suisse Romande est magnifique lorsqu’il est dirigé par un alchimiste sonore aussi chevronné que Charles Dutoit ! 

Dans un Victoria Hall dont les places ont été prises d’assaut jusqu’au moindre strapontin, le public en reste médusé, car dès les premières mesures des Valses nobles et sentimentales de Maurice Ravel, il se laisse griser par la rutilance des accords initiaux encadrant l’effervescence du discours mélodique qu’étire la flûte pour un Assez lent voluptueux acidifié par les bois. La subtilité des accents prête au Modéré un tour désinvolte qui se pare de chatoyantes moirures dans l’Assez animé, tandis que le Presque lent est nourri d’inflexions rêveuses. Un flux chaloupé parcourt un Assez vif qu’endigue le ritenuto sur les aigus afin de parvenir à un Moins vif où les véhéments contrastes entre brillance et langueur touchent à un paroxysme que diluera l’Epilogue, enveloppé des demi-teintes de la réminiscence.

Intervient ensuite la violoniste néerlandaise Janine Jansen, interprète du Concerto en ré majeur op.47 de Jean Sibelius, dialogue au sommet entre une soliste d’exception et un chef qui impose d’emblée à l’ensemble un pianissimo presque imperceptible d’où le violon extirpe un cantabile désespéré qui s’exacerbe progressivement jusqu’à une première cadenza hérissée de traits diaboliques. A la houle du tutti répond l’effusion généreuse du solo qui s’intériorise dans le grave. Sous un voile ténu des cordes semble sourdre des profondeurs l’Adagio di molto aux effluves douloureuses que le contre-sujet intensifiera en de pathétiques élans, alors que le Final, soutenu par un martellato des basses, tient d’un halling sauvage, zébré de traits à l’arraché que produit le violon avec une ahurissante maestria. Devant l’accueil délirant des spectateurs, Janine Jansen offre en bis l’une de ces sarabandes de Bach que rendent expressives les doubles cordes en un chant où le temps suspend son vol…

En seconde partie, la célèbre Symphonie du Nouveau Monde (n.9 en mi mineur op.95) de Dvorak que Charles Dutoit aborde avec une extrême lenteur sur un canevas blafard des cordes graves auquel répondent les bois et un cor dans le lointain. Un premier tutti virulent propulse l’Allegro molto que cors, alti et violoncelles dynamisent afin de parvenir à un équilibre avec les cuivres. La finesse du contour mélodique se laisse gagner sporadiquement par de farouches emportements qu’anéantira le Largo par un pianissimo dépouillé de toute aspérité. Le cor anglais éperdu de douleur exprime son désarroi en un sombre coloris que flûtes et hautbois iriseront pour une séquence bucolique éveillant même les cuivres avant de revenir à la triste complainte du début. Le Scherzo est élaboré à la pointe sèche que le double trio aseptise en déversant une saveur populaire bon enfant, tandis que le Final laisse champ libre aux cuivres péremptoires finissant par céder le pas à une clarinette intensément nostalgique. Bassons et violons ébauchent une danse que désarticulera l’évocation de motifs antérieurs. Et le stringendo des cordes amènera une stretta véhémente culminant sur le point d’orgue en diminuendo des vents.

En résumé, un concert mémorable qui est assurément le point fort de la saison et qui fait espérer que revienne régulièrement au pupitre ce chef incomparable !

Genève, Victoria Hall, le 7 février 2024

Paul-André Demierre

Crédits photographiques : Bruno Fidrych

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