Les chantres d’Odhecaton visitent Paolo Aretino : bouleversante liturgie du Samedi Saint

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Paolo Aretino (1508-1584) : Sabbato Sancto -Lamentationes et Responsoria. Odhecaton, Paolo Da Col. Gianluigi Ghiringhelli, contre-ténor. Giuseppe Maletto, Massimo altieri, Vincenzo Di Donato, Gianluca Ferrarini, ténor. Mauro Borgioni, Gabriele Lombardi, baryton. Enrico Bava, Matteo Bellotto, basse. Livret en anglais, français, italien ; paroles en langue originale et traduction trilingue. Août 2021. TT 63’03. Arcana A551

L’essentiel de la production vocale de Paolo Aretino se déploie dans vingt-cinq années (1544-1569), au sein d’une carrière attachée à sa ville natale d’Arezzo, dans cette région où rayonnaient les Médicis. Outre une Passion selon Saint Jean, un Magnificat et des hymnes, il se pencha particulièrement sur le rite de la Semaine Sainte. Le présent programme illustre le recueil Sacra Responsoria de 1544, et un autre de 1563 qui le corrige en partie, en cette année qu’allait marquer la puriste réforme du Concile de Trente, inhibant les excès contrapuntiques. Le programme s’articule autour d’un fragment de l’office des Ténèbres pour le Samedi du Triduum Sacrum, annoncé en premier enregistrement mondial : trois Lamentations de Jérémie et leur responsorium pour le premier Nocturne, puis trois Répons pour chacun des deux Nocturnes suivants, et enfin un Benedictus pour signifier la fin des Laudes.

Les prémices de manière polyphonique s’inscrivent dans la mouvance florentine et constituent un des premiers exemples appliqués au répons, si l’on en croit la notice de Rodobaldo Tibaldi, spécialiste de ce répertoire de la Passion, et du chanoine de l’église Santa Maria della Pieve. Les Répons s’inscrivent dans une vêture agile et lumineuse, incluant le contralto, et qui témoigne d’une vie rythmique plus variée que les Lamentations. Écrites à quatre (les deux premières) ou cinq voix (la troisième), celles-ci accueillent une dense partie de basse, dont une « profonde » notée en clé de fa. Pour cet enregistrement, conformément aux moyens des plus humbles chapelles, la tessiture a été hissée d’une quarte. Réciproquement, le « Cantique de Zacharie », concluant le cursus liturgique et le CD, a été ramené à la tierce inférieure, ce qui minimise le contraste d’ambitus et trahit peut-être le symbolisme mystique du dernier cierge, et de la progression vers la lumière des Laudes, appelée vers l’aube et l’aspiration à la résurrection.

Là où le lent cheminement (brevis, semibrevis) et le mètre binaire pourraient lasser, les dix chantres d’Odhecaton adoptent une intense déclamation qui pallie la régularité de l’homorythmie. À la tête d’un émérite catalogue voué à la Renaissance, on a connu l’équipe de Paolo Da Col plus perfectionniste dans sa justesse, sa cohésion, mais rarement plus expressive qu’ici. Ces murailles sonores érigées par le Prieur d’Arezzo se font vibrantes, ardentes (Incipit oratio Ieremiae prophetae !). Même justifiées par le texte, on reste étonné de certaines incandescences, armées d’une déchirante ferveur (Operuisiti in furore, et percussisti nos). Ce zèle incantatoire culmine dans le Benedictus, en alternatim de psalmodie et de polyphonie. Pendant cette heure étreignante, à l’étroit dans le tombeau, la troupe italienne semble orienter les douleurs du Sabbato Sancto vers l’éblouissement du Domenica Resurrectionis. Et s’anime d’un art flamboyant qui, en ses flashes de lumière spirituelle magnifiant le texte sans lui nuire, se prémunit des injonctions de la réforme tridentine. En tout cas, Odhecaton signe une magistrale et charismatique contribution à la discographie de l’Orphée de Toscane.

Son : 8,5 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

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