Hommage à Seiji Ozawa, fédérateur transfrontalier

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Le grand chef d’orchestre japonais est décédé à l’âge de 88 ans. Immense star de la direction, créateur d’institutions et promoteur dévoué de la musique contemporaine, enseignant et mentor passionné et passionnant, le musicien a marqué son époque, devenant l’une des premières  vedettes internationales d’origine asiatique adulé sur tous les continents, bien au-delà des cercles des simples mélomanes.  

Nous ne nous référerons pas ici la biographie longue et prestigieuse de cet immense musicien, mais nous reviendrons sur des étapes de sa carrière et de sa personnalité avec les témoignages des chefs d’orchestre Fabien Gabel et Ludovic Morlot que nous remercions vivement. 

Créateur d’institution et promoteur de la jeunesse

Seiji Ozawa s’est démené pour élever encore plus le niveau de la musique classique au Japon et l’étoffer d'institutions dynamiques couvrant des pans de l’activité. En 1972, il fonde à Tokyo le New Japan Philharmonic avec des musiciens du Japan Philharmonic Orchestra qui viennent alors de perdre un contrat rémunérateur avec un média audiovisuel. En 1984, il crée le Saito Kinen Symphony Orchestra dont le nom rend hommage à Hideo Saito, violoncelliste, chef d’orchestre et pédagogue qui fut l’un des maîtres de Seiji Ozawa. Cette phalange était composée du meilleur des instrumentistes à cordes du Japon, renforcée par des vents et des cuivres issus des pupitres des grands orchestres d’Europe. Cet orchestre de projets d’élite fut d’emblée remarqué par sa haute qualité, consacrée par des enregistrements et des tournées à travers le monde. En 1992, Ozawa fonde le Saito Kinen Festival Matsumoto, dans les montagnes, sorte de mélange entre Tanglewood et Salzbourg. Chaque année, en août et septembre, le chef dirigeait une production lyrique et des concerts symphoniques. Enfin en 2003, il posa les fondations du  Tokyo Opera Nomori, première compagnie lyrique de l’archipel nippon qu’il inaugure avec rien moins qu’Elektra de Richard Strauss. Il fut également l’un des compagnons de route du Mito Chamber Orchestra, phalange en résidence au complexe culturel Mito Art Tower dans la ville éponyme. Seiji Ozawa était toujours très enthousiaste envers la jeunesse, dirigeant des orchestres de jeunes, ainsi les mélomanes se souviennent de sa tournée de 1998 avec le Gustav Mahler Jugend Orchester à l’invitation de Claudio Abbado avec au programme une Vie de héros de Richard Strauss mené au premier violon par le jeune Renaud Capuçon. Le chef d'orchestre initia tant au Japon qu’en Europe des structures pour aider des jeunes musiciens à l’image de la Ozawa International Chamber Music Academy présente sur l’archipel et en Suisse ou Ongaku Juku Opera, afin de  faire connaître l'opéra aux enfants de Chine et du Japon. Notons aussi que réinvité en Chine en 1978, il y a mena une tournée légendaire du Boston Symphony Orchestra en 1979 tout en initiant d'importants échanges culturels par le biais de discussions et de séances d'enseignement avec des musiciens chinois. Ensuite, il n'avait cessé d'entretenir des relations étroites avec la Chine.

La Magie Ozawa

Malgré un bref mandat à la tête de l’Opéra de Vienne (2002-2010) et des apparitions acclamée dans la fosse dont celle de l’Opéra de Paris, Seiji Ozawa reste un chef que l’on identifie au répertoire symphonique ce dont témoigne son immense discographie pour les labels EMI, Erato, Philips, Warner, Telarc, RCA, Sony au pupitre des orchestres dont il fut directeur musical ; Toronto Symphony Orchestra (1965-1969), San Francisco Symphony Orchestra (1970-1977), Boston Symphony Orchestra (1973-2002) mais aussi avec ceux dont il fut un compagnon de route : Berliner Philharmoniker, Wiener Philharmoniker, Orchestre de Paris, Orchestre National de France… La précision de sa direction et la justesse du ton qu’il arrivait à trouver faisaient du maestro un interprète de choix de la musique française : Berlioz, Bizet, Ravel, Debussy, scintillent sous sa conduite inspirée. Il faut apprécier aussi une énergie galvanisante qu'il insufflait aux orchestres, réécoutons ainsi ses premiers enregistrements pour RCA et EMI avec le Chicago Symphony Orchestra dont un Sacre du printemps jamais égalé par sa barbarie instrumentale ou un Concerto pour orchestre de Lutoslawski démoniaque et dionysaque. Les amateurs de grandes performances d’orchestre peuvent chérir les gravures berlinoises et viennoises pour Philips avec des ouvertures et préludes de Wagner ou la Symphonie alpestre de Strauss où ces phalanges de prestige sonnent avec plénitude et un enthousiasme communicatif dans une transe collective qu’un Leopold Stokowski aurait pu jalouser.  

Mais quelles étaient les fondations de ce charisme musical hors norme ? Le chef d’orchestre Fabien Gabel, alors jeune trompettiste, avait participé à une série de représentations de Tosca de Puccini avec l’Orchestre de l’Opéra de Paris, il se souvient : “j’étais subjugué par son énergie incroyable. Sa gestuelle était naturelle, et avec des mouvements larges et amples, il alliait la précision et le punch. Ensuite, alors que j'étais assistant de Kurt Masur  à l’Orchestre National de France, j’ai pu assister à ses répétitions et apprécier sa manière de travailler en détail. C'était  très impressionnant car il dirigeait tout par coeur”   

Le chef d’orchestre Ludovic Morlot, qui a travaillé avec Seiji Ozawa au Festival de Tanglewood puis au Boston Symphony Orchestra nous rapporte : “c’était un virtuose extraordinaire ! Pour moi, la plus belle leçon que j'ai retenue de lui, c'est l'importance du rythme mais surtout de la pulsation interne pas juste limitée à son sens métronomique mais la pulsation comme la respiration de la musique. Bien évidemment, sa rigueur rythmique était extraordinaire, mais connectée à une énergie incroyable liée à un instinct pour la performance. Tout fusionnait organiquement comme s'il composait.”      

Le défenseur du répertoire contemporain 

Bien que l’on attache sa mémoire aux grandes fresques instrumentales et chorales de Berlioz, Mahler ou Strauss, Ozawa était un immense défenseur de la musique  contemporaine, ainsi au cours de ses 30 ans de mandat au pupitre du Boston Symphony Orchestra, il fit passer commande de 44 nouvelles partitions. Ses premiers enregistrements, pour les labels RCA et EMI furent consacrés à la Turangalîla Symphonie de Messiaen (1967), Cassiopeia de Toru Takemitsu ou  Sōgū II Maki Ishii (1972). Au rang des grands accomplissements de sa carrière, les premières mondiales de San Francisco Polyphony de  György Ligeti en 1975, de l’opéra Saint François d’Assise de Messiaen à l’Opéra de Paris en 1983 ou celles de The Shadows of Time  (1997) ou Le Temps de l’horloge (2007) d’Henri Dutilleux. Seiji Ozawa n’avait pas d'œillères et il pouvait autant diriger Sillages de Tristan Murail ou Stratégie de Xenakis que Last Round d’Osvaldo Golijov et la Symphonie n°1 de John Harbison.

La star en mondovision

Seiji Ozawa était aussi une star mondiale, popularisé par des événements exceptionnels. Ainsi la première représentation simultanée de la Symphonie n°9 de Beethoven à l'occasion du concert inaugural des Jeux olympiques de Nagano en 1998. Seiji Ozawa dirigeait un orchestre et un chœur depuis le stade de Nagano, rejoints ensuite par des chœurs situés à Pékin, Berlin, Cape Town, New York et Sydney. Le public parisien se souvient aussi d’un gigantesque concert en plein air, en mai 2000, sous la Tour Eiffel avec la complicité du Boston Symphony Orchestra et de l’Orchestre de Paris et avec Andrea Bocelli en soliste. Il reste également, à ce jour, le seul chef asiatique à avoir dirigé le Concert du Nouvel an du Philharmonique de Vienne (2002). Il fut aussi l’invité de marque de la série pédagogique musicale autour de Wynton Marsalis  Why Toes Tap With Seiji Ozawa.

Par son charisme naturel, il a renouvelé l’image du maestro cassant les codes de la figure autoritaire et intimidante, abandonnant le frac puis la baguette tout en communiquant une bonhomie et une sympathie naturelle aux musiciens et aux publics. La filiation avec Leonard Bernstein est évidente par cette capacité à fédérer, transcender et ouvrir vers l’avenir par l’enseignement. Ludovic Morlot nous rapporte : ”il avait hérité de Bernstein cet amour de l’enseignement et cet amour pour le partage. Comme tous les gens qui veulent continuer à apprendre, il enseignait sans relâche, prenant  le temps alors qu'il était déjà âgé de se rendre en Suisse, à son Académie, pour coacher des jeunes dans des quatuors à cordes de Beethoven. Ce n'était pas un professeur transmissif ou académique et par son enseignement, on réfléchissait à ses propres pratiques. Comme pour des milliers d’autres musiciens, il a joué un rôle essentiel dans mon développement personnel, artistique et musical.”    

Autre figure dont Ozawa peut être rapproché : Herbert von Karajan pour la formidable énergie qu’il parvenait à insuffler aux orchestres en les galvanisant. D’ailleurs est le seul chef à avoir étudié tant avec Bernstein que Karajan.   

Des ennuis de santé lui firent progressivement abandonner le podium, avec des retours de plus en plus rares mais toujours émouvants de cet homme très diminué mais que la musique habitait comme jamais.  

Il laisse une discographie pléthorique ou le plus magistral côtoie parfois le pittoresque mais toujours intéressant comme des Quatre saisons de Vivaldi avec son orchestre de Boston (Telarc). Excellent dans Strauss, Mahler, Berlioz et Ravel, il vouait une dévotion à Bach et il enregistra magistralement les grandes œuvres chorales avec son orchestre Saito Kinen (Philips).  Ozawa incarne, tout autant que Karajan ou Bernstein, la diffusion de la musique classique par-delà les frontières et le simple milieu musical, une rock star dont l’engagement nous manque déjà tellement.    

Pour les amateurs de lecture, on mentionne le livre d'entretiens entre le chef d'orchestre et l'auteur Haruki Murakami : De la musique - Conversations (Belfond).

Pierre-Jean Tribot

Crédits photographiques : Akira Kinoshita / Boston Symphony Orchestra

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