A Genève, une magnifique Katia Kabanova

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Après avoir présenté Jenufa en mai dernier, le Grand-Théâtre de Genève poursuit son cycle Janacek en affichant Katia Kabanova qui fait appel à nouveau à la metteure en scène berlinoise Tatjana Gürbaca et à la soprano américaine Corinne Winters dans le rôle-titre. Et le résultat dépasse largement le niveau atteint par Jenufa.

Sous des lumières continuellement suggestives conçues par Stefan Bolliger, le décor sobre d’Henrik Ahr encadre le plateau de gigantesques baies vitrées donnant sur la Volga, étendue aquatique apparemment sereine. L’espace de jeu est un triangle de bois montant graduellement vers le fond de scène où se profile la demeure des Kabanov. Les protagonistes y sont des gens du commun, vêtus simplement par Barbara Drosihn qui ne recherche aucune couleur locale. Toutefois, ce milieu clos est étouffant, exacerbant les passions avec une rare véhémence. Tatjana Gürbaca s’attache au personnage de Katia qui parvient à se faire une carapace face à l’atroce vilenie de Kabanikha, sa belle-mère, et à la lâcheté de Tikhon, son époux. Avec la complicité de sa belle-sœur, Varvara, elle se libère peu à peu de ce joug oppressant, en osant se montrer en une nuisette immaculée afin d’attirer Boris Grigorjevic qui deviendra son amant. Saisissant, le dernier tableau où, dans la nuit noire, une pluie drue se déverse, figeant les quelques villageois sortis de l’église. Katia revoit une dernière fois Boris, se rend compte de sa faiblesse et s’avance, imperturbable, vers le fleuve qui engloutira sa pitoyable existence.

Il faut dire que Corinne Winters trouve en ce personnage le rôle de sa vie, car les moyens vocaux, qui ont émietté le grain crayeux de sa Jenufa, sont en totale symbiose avec la présence théâtrale qui confine à une véritable assomption. Le fossé qui la sépare de sa belle-mère se creuse à vue d’œil, tant la Kabanikha d’Elena Zhidkova est creuse par l’inconsistance d’un timbre qui n’a plus d’assise et qui tremblote autant que le piétinement parkinsonien que lui prête la mise en scène. Où sont donc passées les Rysanek, Randova, Gorr d’une autre époque, qui vous glaçaient d’effroi ? Bien plus convaincants s’avèrent les ténors Magnus Vigilius et Ales Briscein : le premier prête un timbre corsé au pleutre Tikhon en mettant en lumière son honnêteté face à l’insurmontable dilemme entre sa dévotion filiale et son amour réel pour sa femme, tandis que le second insuffle des élans de passion à un coloris cuivré qui lui confère un semblant d’aplomb. Une note de saine gaieté est apportée par le couple Varvara – Vana Kudrjas campé par Ena Pongrac et Sam Furness, car tous deux jouent de la clarté de l’aigu pour vivre sereinement leur amour. La basse Tomas Tomasson étant malade, c’est son collègue finlandais Sami Luttinen qui, connaissant la production, le remplace au pied levé en personnifiant un Dikoj haut en couleur, matamore ivrogne qui brûle les planches. Complètent adroitement la distribution Vladimir Kazako (Kuligin), Mi-Young Kim (Glasa) et Natalia Ruda (Feklousa).

A la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande et du Chœur du Grand-Théâtre de Genève, Tomáš Netopil  met constamment en valeur cette partition géniale par la précision du geste qui s’attache au détail de l’orchestration, tout en l’animant par un souffle dramatique constant sur les quelques 90 minutes d’un spectacle d’un seul tenant, donc sans entracte. Une indéniable réussite !

Paul-André Demierre

Genève, Grand-Théâtre, le 25 octobre 2022

Crédits photographiques : Carole Parodi



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