A voir à tout prix, IL GIASONE de Cavalli !  

par

Francesco Cavalli (1602-1676) : Il Giasone.  Valer Sabadus (Giasone), Kristina Hammarström (Medea), Kristina Mkhitaryan (Isifile/ il Sole), Willard White (Giove /Oreste), Raul Gimenez (Egeo), Alexander Milev (Ercole), Günes Gürle (Besso), Dominique Visse (Delfa/Eolo), Migran Agadzhanyan (Demo/ Volano), Mariana Flores (Alinda), Mary Feminear (Amore). Capella Mediterranea, direction : Leonardo Garcia Alarcon. Mise en scène : Serena Sinigaglia ; décors et costumes : Ezio Toffolutti ; lumières : Simon Trottet. Réalisation : Isabelle Soulard. DVD – 2017 – 182’29. Texte de présentation en français, en anglais et en allemand. ALPHA-718.

A la fin janvier 2017, le Grand-Théâtre de Genève présentait, sur sa scène de remplacement (l’Opéra des Nations), l’un des ouvrages majeurs de Francesco Cavalli, Il Giasone, créé au Teatro San Cassiano de Venise le 5 janvier 1649. S’étirant sur plus de quatre heures,  ce dramma per musica comporte un prologue et trois actes, en y intercalant nombre de scènes comiques, à l’instar de L’Incoronazione di Poppea de Claudio Monteverdi.  Leonardo Garcia Alarcon en a élaboré une édition musicale intelligente, en ramenant chacun des actes à la durée d’une heure environ, qu’illustre magistralement la production scénique de Serena Sinigaglia, restituée par le film d’Isabelle Soulard.

L’intrigue nous dévoile un Olympe de fantaisie où les dieux, secondés par l’amour, se gaussent des unions souvent licencieuses que contractent les mortels, même s’ils sont des héros de légende. Tel est le cas de Giasone (Jason) qui a engendré deux paires de jumeaux, l’une avec Isifile (Hypsipyle), reine de Lemnos, l’autre avec Medea, la magicienne de Colchide. La situation exaspère Ercole (Hercule) et les Argonautes qui voudraient poursuivre avec lui la quête de la Toison d’or. Débarquant avec sa progéniture, Isifile affronte sa rivale qui exigera de Giasone qu’il lui donne la mort. Dans l’empressement, Besso, l’un des sbires, commet une erreur en jetant à la mer… Medea, l’instigatrice du complot, qui, par chance, sera sauvée par son ancien soupirant, Egeo, qu’elle finira par épouser. Et Giasone pourra convoler en justes noces avec Isifile.

Face à une telle trame, teintée de grivoiserie, la mise en scène de Serena Sinigaglia conserve une distance ironique qui émoustille continuellement le spectateur. Sous de suggestifs éclairages conçus par Simon Trottet, le décor d’Ezio Toffolutti s’inspire des scénographies d’époque de Giacomo Torelli, avec cette perspective de nuages  que les machinistes apportent sur le plateau pour agrémenter une île en carton-pâte dont les rochers peuvent s’entrouvrir. Pendant que Jupiter, cuirassé et masqué comme Henri IV, tance vertement l’Amour frondeur, joufflu comme un ‘putto’ de fresque vénitienne, se déchaîne une tempête qui désagrège un navire que deux ou trois assistant peinent à maintenir à flot, tandis que vrombit une machine à vent prêtée par la Fenice de Venise. Et les costumes dessinés, eux aussi, par le décorateur, relèvent d’une fantaisie ironique tout aussi marquée : face à une Medea, arborant les voiles noirs de la sorcellerie qu’elle troquera ensuite contre une tenue d’explorateur avec casque colonial, Jason porte chemise-cravate, gilet rouge et pantalon de flanelle beige, s’harmonisant avec le fourreau jaunâtre d’Hypsipyle  et les tenues ‘frenchies’ années trente des nounous poussant leur landau. Alors qu’Oreste, son confident, et Egeo, le roi d’Athènes, exhibent complet-veston et parapluie, Hercule et ses Argonautes ont des airs de loubards bardés cuirs, ne pouvant contenir l’insatiable appétit grivois de la nourrice Delfa, personnifiée par l’impayable Dominique Visse, coassant comme une rainette en chaleur.

En ce qui concerne la musique, il faut d’abord relever la qualité exceptionnelle du travail de révision accompli par Leonardo Garcia Alarcon ; et sa direction emporte tant son ensemble instrumental, la Cappella Mediterranea, que le plateau vocal dans une dynamique ébouriffante qui tient continuellement le spectateur en haleine. S’impose en premier lieu la Medea au grain sombre de Kristina Hammarström qui impressionne dans son incantation infernale « Dell’antro magico » et dans la scena « Ecco il fatal castello » où elle dialogue avec le Giasone dégingandé du contre-ténor Valer Sabadus, l’époux volage qui use savamment de toutes les couleurs de sa palette vocale à des fins expressives. Tout aussi remarquable est l’Isifile (et l’incarnation du Soleil) de Kristina Mkhitaryan, aussi belle de présence que de sonorité charnue. Williard White a toujours fière allure en Giove (Jupiter) tonnant, comme en Oreste, serviteur dévoué d’Isifile, tandis que Raul Gimenez doit d’abord trouver ses marques avant de camper un Egeo émouvant. Migran Agadzhanyan est d’une cocasserie extrême sous les traits de Demo, son valet bégayant,  sortant de son canot pneumatique, quand Dominique Visse est un sommet de drôlerie en matrone Delfa et en Eole, dieu des vents. La force tranquille habite autant l’Ercole d’Alexander Milev que le soudard Besso de Günes Gürle. Et Mariana Flores a la rouerie d’Alinda, la suivante, qui ne s’en laisse pas compter, même si l’Amore garnement de Mary Feminear lui décoche ses flèches.

Et l’ensemble de la production est magnifiquement filmé par les caméras d’Isabelle Soulard, en nous démontrant que l’opéra baroque peut être fascinant s’il est restitué aussi intelligemment !

Paul-André Demierre

 

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