Rencontre avec Annette Vande Gorne

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Dans le prolongement du concert du 30 janvier 2019 au Senghor ayant pour thème "Les Voies de la Voix Acousmatique", dont nous nous sommes fait l'écho par ailleurs, nous avons pu nous entretenir brièvement avec la compositrice Annette Vande Gorne, qui porte haut l'étendard de la musique acousmatique en Belgique.

Considérés comme des courants d'avant-garde au XXème siècle, les musiques concrète, électroacoustique et acousmatique ont-elles aujourd'hui dépassé le stade de l'expérimentation? Quelle est leur place dans le paysage musical actuel? Ne s'agit-il pas aujourd'hui de combats d'arrière-garde, alors que de nombreux compositeurs prônent un retour aux formations "classiques" ou à une nouvelle simplicité?

La question est posée de façon négative, qui oblige à justifier l’existence même de la musique acousmatique, concrète et électroacoustique aujourd’hui… Son existence est au contraire pleinement active et, il est vrai, différente des « retours à » d’arrière-garde à la mode actuellement (tentative de récupération de public à bon compte?). Rien de plus ouvert et accessible que le concert et la musique acousmatiques !

Au regard des progrès technologiques des dernières décennies, les œuvres de Schaeffer, Henry, Reibel, voire les pièces électroniques de Berio ou de Xenakis, n'ont-elles pas "mal vieilli"? Leur portée n'est-elle pas, de nos jours, essentiellement documentaire?

Une fois encore, une approche négative. Se pose-t-on cette question à propos de Monteverdi, Bach ou Debussy? L’histoire fera le tri. Je suis pour ma part certaine que des œuvres comme « De natura sonorum » de Bernard Parmegiani, « L’expérience acoustique » de Bayle ou « L’apocalypse » de Henry passeront la rampe du temps. Je ne peux que constater le succès des œuvres et des outils analogiques auprès de la génération qui a 25 ans aujourd’hui.

Quelle est la place dévolue aux interprètes de musique acousmatique? Lisent-ils une "partition" ou sont-ils amenés à improviser lorsqu'ils spatialisent une œuvre?

L’interprète doit s’aider d’un relevé graphique qu’il réalise lui-même, selon son écoute et ses choix de stratégie, à moins qu’il ne connaisse l’œuvre de mémoire, ou en soit le compositeur.

Est-il possible de mal spatialiser une œuvre acousmatique?

Le seul concours d’interprétation spatialisée au monde, que nous organisons toutes les années impaires, prouve, par la nécessité pour chaque concurrent de jouer un imposé, combien le rôle de l’interprète est essentiel: il peut sublimer ou détruire par sa spatialisation l’œuvre pourtant fixée et composée en studio. Le concert acousmatique intègre l’étape de la spatialisation, là où le cinéma s’est arrêté (sauf au début de ses projections en public et, dans une moindre mesure, dans les cinéma IMAX). La réalité virtuelle, projetée en public, franchit le pas.

On décèle une réelle connivence entre votre monde sonore et les textes d'un Werner Lambersy, par exemple. Pourtant, vos créations déforment quelquefois ses vers, lesquels peuvent alors devenir inintelligibles. Comment réagissent les poètes que vous avez mis en musique à l'écoute de vos œuvres?

Très bien ! C’est à la demande même de Werner Lambersy que j’ai illustré autant de ses textes et accepté de composer un opéra acousmatique [Yawar Fiesta, ndlr]. Plus que d’audibilité, il s’agit d’expressivité, chacun respectant l’autre. Une fois de plus, se préoccupe-t-on de cette question quand il s’agit de polyphonie complexe, ou d’un opéra contemporain?

Ligeti, Berio, Nono, Stockhausen, Zimmermann,... Nombreux sont les compositeurs ayant "goûté" à l'électronique sans pour autant s'engager exclusivement dans cette voie. Verra-t-on un jour Annette Vande Gorne composer pour les instruments traditionnels, sans recours à l'électronique?

J’ai composé de la musique instrumentale et vocale au sortir de mes études d’écriture au conservatoire, jusqu’à ce que je découvre cette nouvelle étape dans l’écriture musicale, dont les possibilités ont étés mises en exergue par Pierre Schaeffer, à partir de l’enregistrement sonore, de la « chose » elle-même, et non plus de sa représentation symbolique sur support-papier (ou parchemin à l’époque des neumes du Moyen-Âge), ni de sa transmission grâce à la mémoire humaine dans les cultures musicales non-écrites, comme celle des raga/tala de l’Inde millénaire.

Quelle destinée prédisez-vous aux musiques électroniques?

Les musiques électroacoustiques « savantes » resterons les laboratoires de recherche qui développent une musique inouïe et la technologie y afférente. Elles anticipent certaines musiques électroniques plus « populaires » au sens d’un public large, qui utilisent les mêmes technologies. Quelques étudiants de la section électroacoustique que j’ai fondée au Conservatoire Royal de Mons/Arts2, après avoir terminé leur master de 5 années d’études, sans prérequis en connaissance solfégique et avec 14 professeurs spécialisés dans cette section, continuent à composer des musiques électroniques grand public (installations sonores, théâtre, danse, vidéo, cinéma,  mapping, etc.) en leur apportant une signature sonore bien plus élaborée.

Votre acousmonium, "Métamorphoses d'Orphée", a jeté l'ancre depuis quelque temps déjà sur la charmante place de Ransbèche, en Brabant Wallon. Qu'y fait-on exactement? 

J’engage vos lecteurs à consulter notre site musiques-recherches.be. On y voit un agenda de concerts organisés régulièrement, 2 festivals, des résidences de compositeurs invités, une base de données « electrodoc » de plus de 12.500 œuvres électroacoustiques et leur lien avec des livres et des articles grâce à plus de 7.000 compositeurs et auteurs dans le monde. On y donne des cours généraux de musique instrumentale et de musique électroacoustique ou de technologie, entre autres dans le cadre de la section électroacoustique du Conservatoire Royal de Mons, mais aussi pour les amateurs. On y édite une revue d’esthétique musicale [la revue LIEN, ndlr] et des CD…

La Cour de Justice de l'Union européenne se prononcera prochainement sur le droit des compositeurs de recourir au "sampling" (échantillonnage) dans leurs œuvres sans l'accord des ayants-droit sur les échantillons sonores empruntés. Dans son avis à la Cour du 12 décembre 2018, l'Avocat Général conseille à la Cour de dire pour droit que « le prélèvement d'un extrait d'un phonogramme afin de l'utiliser, sans l'accord du producteur de ce phonogramme, dans un autre phonogramme, constitue une atteinte au droit exclusif du producteur du premier phonogramme d'autoriser ou d'interdire une reproduction de son phonogramme ». Dans l'hypothèse où la Cour de Justice suivrait cet avis, son arrêt aura vraisemblablement un impact considérable dans le domaine du hip-hop et du rap. Les auteurs de musique acousmatique en feraient-ils également les frais?

Dans une bien moins grande mesure, car les compositeurs acousmatiques font eux-mêmes leurs prises de sons, élaborent eux-mêmes leurs séquences en synthèse et leurs patchs informatiques, construisent souvent leurs propres outils sonores. Si sampling il y a, il est tellement transformé, retravaillé, qu’il devient une nouvelle matière, un nouveau son.

Propos recueillis par Olivier Vrins

Crédits photographiques : Didier Allard

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