Anton Bruckner d’équilibre et de raison 

par

Anton Bruckner (1824-1896) : Symphonie n°5 en si-bémol majeur WAB 105 (Edition Nowa BSW/5). ORF Vienna Symphony Orchestra, Markus Poschner. 2023. LIvret en allemand et anglais. 70’57’’ Capriccio. C8090 

Dans notre imaginaire, la Symphonie n°5 de Bruckner est, à l’image de la Symphonie n°8, une cathédrale sonore, monument de verticalité contrapuntique ; un édifice à la fois fascinant et intimidant par son élévation musicale et spirituelle. Dans ce contexte de majesté architecturale, on attend trop souvent des interprètes une sorte de dévotion devant cette construction musicale, dévotion en forme d’une neutralité presque revendiquée devant cette messe symphonique, mais dévotion églalement devant une discographie bardées de références qui semblent insurpassables ! En effet, on apprécie trop cette partition avec un excès de routine et avec les yeux de ceux qui sont imprégnés des évolutions ultérieures de l’art du compositeur : c'est avec la grandeur des symphonies n°8 et n°9 que nous envisageons la "5e". Dans ce contexte, Markus Poschner remet de l’ordre dans la chronologie créatrice et cerne parfaitement la radicalité du geste compositionnel d’un Bruckner visionnaire. Un ancien ministre aurait même dit "dégraisser le mammouth".

La baguette de Markus Poschner est rapide mais jamais précipitée, permettant de conserver un allant au service d’un travail sur les masses instrumentales qui sont plus allégées et avec une pointe tranchante qui travaille les transitions thématiques et cerne la portée visionnaire de l’orchestration. Le superbe "Adagio.Sehr Langsam" est ici poussé par une brise fraiche qui érafle le matériau orchestral avec des ombres des modèles du passé mais cerne idéalement la modernité de cet art compositionnel par un travail sur les tuttis, les articulations et des contrastes. On admire également la recherche sur les phrasés et la lisibilité des thèmes, tout se découvre plus chantant avec parfois des réminiscences chorégraphiées qui prennent racines dans un terroir paysan, voire chez Schubert. Le "Scherzo", à la fois poétique et puissant, est un très grand moment de cette interprétation par sa force épique et ses atmosphères rugueuses, dansantes et campagnardes. Le construction des redoutables mouvements introductif et conclusif est également une grande réussite avec un impact cursif mais toujours plus horizontal que vertical au service de l'allant. Tout avance avec naturel dans cette lecture qui évite les scansions. 

On se sent ici au plus près du texte, mais jamais dans l'exagération car Markus Poschner travaille le fond mais reste au service de la forme et de la puissance géniale du talent créatif du compositeur. L’Orchestre de la radio de Vienne sonne avec une relative neutralité qui sert parfaitement la lecture du chef. Tous les pupitres adhèrent à l’option choisie. Ils se fondent avec une incroyable discipline et une écoute mutuelle exemplaire dans ce creuset musical. 

Certes, beaucoup pourront détester cette lecture foncièrement laïque et séculière de la symphonie, mais le chef nous régale. De plus, au fil des volumes, notre oreille s’acculture au travail de Markus Poschner et cela ne cesse de nous convaincre de la justesse de cette approche.

Son : 9  Notice : 9  Répertoire : 10  Interprétation : 10   

Pierre-Jean Tribot

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