Au Festival Chopin, un fougueux Alberto Nosè 

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Durant la semaine où se déroule son festival, la Société Frédéric Chopin de Genève organise ses manifestations dans des lieux très diversifiés. Ainsi pour un récital, a-t-elle la bonne fortune de bénéficier de la somptueuse Salle des Nations de l’Hôtel des Bergues au plafond cintré avec un piano trônant au centré, entouré de son public d’élection, comme dans les grands salons parisiens du XIXe.

Ce vendredi était invité le pianiste italien Alberto Nosè, diplômé du Conservatorio di Musica de Vérone à l’âge de dix-sept ans, lauréat du ‘Jugendwettbewerb’ de Salzbourg en 1991, du Concours Chopin de Varsovie en 2000, Prix Vendôme de Paris la même année, Prix du World Piano Competition de Londres en 2002. 

Aujourd’hui quadragénaire sympathique, il ouvre son programme avec la Première des Grandes Polonaises op.26 en ut dièse mineur en mettant immédiatement en valeur son sens inné des contrastes lui faisant attaquer à l’arraché les premiers accords aussitôt atténués par le lyrisme pathétique du motif ascendant qui utilise les volatine en petites notes pour aérer le discours, alors que le Meno mosso prend un caractère implorant qui émeut. La Barcarolle en fa dièse majeur op.60, abordée à tempo retenu, affiche un cantabile mélancolique que le double trille fait avancer en lui innervant une fluidité permettant la progression vers des sommets souvent anguleux. Les Trois Mazurkas trop peu connues de l’opus 56 en constituent la contre-épreuve par le legato rêveur qui imprègne le trait d’une fébrilité presque maladive, tandis que la deuxième a la véritable verve folklorique truffée d’audacieuses harmonies quand la troisième aspire avec tendresse à un monde lointain quelque peu étrange. Sous une lancinante mélancolie, la Première Ballade en sol mineur op.23 fait déferler la houle descendante sur les basses charpentées, tandis que le chant large en accords fait rapidement place à un volubile scherzando débouchant sur un Presto con fuoco effréné.

Alberto Nosè a ensuite l’ingénieuse idée de rapprocher un nocturne d’une valse : ainsi le Seizième en mi bémol majeur op.55 n.2 fait chanter deux voix dont l’expansion généreuse se répand sur les méandres larges de la main gauche, faisant face à une Valse de l’adieu (op.69 n.1 en la bémol majeur) au phrasé subtil modelé avec lenteur ; puis le Treizième Nocturne en ut mineur op.48 n.1 façonne un cantabile superbe sur de profondes octaves dont le flux tumultueux confinera hélas à la boursouflure, que dissipera la Valse en ré bémol majeur op.70 n.3 par sa grâce surannée. Le célèbre Deuxième Scherzo en si bémol mineur op.31 achevant le programme tient aussi de la virtuosité trop extérieure emportant le presto dans une bourrasque que saura contrer le sostenuto médian avec sa tristesse méditative parsemée de quelques figures arachnéennes. Produira le même effet, dans la série des bis, la Douzième Etude en ut mineur op.25 détruisant tout sur son passage tandis que le Nocturne en ut dièse mineur opus posthume ne sera qu’ineffable poésie, ce que l’on dira aussi de ces Cloches de Genève si inattendues, émanant du Cahier suisse des Années de Pèlerinage de Franz Liszt. Et quel artiste nous avons devant nous lorsqu’il laisse sourdre son lyrisme poétique !

Paul-André Demierre

Genève, Salle des Nations de l’Hôtel des Bergues, le 8 octobre 2020

Crédits photographiques : Bernardo Arcos Mijailidis

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