Au Luxembourg, Gustavo Gimeno au diapason de César Franck

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César Franck (1822-1890) : Symphonie en ré mineur ; Variations symphoniques*. Denis Kozhukhin, piano*Orchestre Philharmonique du Luxembourg – Gustavo Gimeno. 2019. 54’01. Livret en anglais, en allemand et en français. 1 CD Pentatone. PTC5186762

Les années 1885-1895 ont été particulièrement favorables à la symphonie française, avec celles de Saint-Saëns (avec orgue), Lalo, d'Indy (cévenole), Chausson, Dukas, Magnard (Troisième). Au milieu de tous ces chefs-d’œuvre, celle en ré mineur de Franck, qui mit si longtemps à être vraiment comprise. Encore aujourd'hui, il est de bon ton d’en relativiser la valeur, d’en critiquer l’équilibre formel, ou encore l’orchestration. Pourtant, quelle maîtrise dans cette fameuse forme « cyclique », si caractéristique de Franck ! Cette symphonie est comme une cathédrale d’un seul tenant, d’une unité et d’une cohérence qui nous tient tout au long des presque quarante minutes de ses quatre parties, rassemblées en trois mouvements. 

L’Espagnol Gustavo Gimeno, né à Valence en 1976, est le chef principal de l'Orchestre Philharmonique du Luxembourg depuis 2015 (son contrat vient d’être prolongé jusqu'en 2025). Il y a succédé à Emmanuel Krivine qui occupait ce poste depuis 2006. C’est dire si l’orchestre actuel est habitué à la musique française ! Il lui a du reste consacré beaucoup d’enregistrements en ce XXIe siècle : pas moins de vingt-trois albums sont entièrement consacrés à l’un des compositeurs de cet âge d’or qui se situe entre la fin du XIXe siècle et le début du XX: trois pour Debussy, Gaubert, Pierné et Ravel ; deux pour Ropartz et Roussel ; et aussi Auric, Boulanger, Cras, d’Indy, Honegger, Magnard et Poulenc -sans compter tous les enregistrements, d’un très haut niveau général, que les solistes de cet orchestre ont réalisés en musique de chambre.

Celui-ci, le premier dédié à César Franck, a été réalisé dans la superbe Philharmonie Luxembourg, œuvre de l’architecte français Christian de Portzamparc. C’est dans cette salle, à l’acoustique tout particulièrement soignée, que l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg joue et enregistre depuis 2005.

Ce qui frappe d’emblée, c’est la franchise, l’équilibre, la clarté. Si les intentions musicales sont réellement exprimées, si l’énergie et la puissance sont bien présentes, elles restent relativement intériorisées, jamais exacerbées. On a beaucoup critiqué l’orchestration de cette Symphonie. Franck lui-même a avoué qu’il « écrirait autrement si c’était à refaire » les parties des vents. Pour autant, il est possible d’en atténuer sensiblement certains défauts par l’interprétation. C’est le cas ici, avec des cuivres qui se fondent dans l’ensemble, des bois qui ne cherchent pas à dominer, des cordes vibrantes et très homogènes, et une prise de son optimale qui laisse entendre le son de l’orchestre tout en permettant d’apprécier le grain de chaque instrument. Le tout début de l’Allegretto, par exemple, avec les pizz et la harpe, puis le cor anglais et les altos, puis la clarinette et le cor, est à cet égard un enchantement.

César Franck était chrétien. On a beaucoup parlé de la dimension religieuse de cette Symphonie, dont la progression évoque en effet le salut de l’Homme par la Rédemption. Sous la direction de Gustavo Gimeno, cette évolution ne se fait pas avec de grands gestes héroïques ou douloureux. C’est plutôt une certaine félicité qui finit par nous animer.

On retrouve toutes ces qualités dans les formidables Variations symphoniques pour piano et orchestre. Bien sûr, il n’est pas question ici de la même profondeur émotionnelle. Aucune virtuosité vaine cependant, car il s’agit bien d’une œuvre de grande sensibilité. Et, avec cette interprétation, nous sommes plus proches de la musique de chambre que du concerto de soliste. On sent Denis Kozhukhin extrêmement attentif à ses partenaires, et ses interventions sont toujours sobres et expressives.

Après deux CD de Sonates (Prokofiev puis Haydn) chez Onyx, il enregistre depuis 2016 chez Pentatone. Ces Variations symphoniques font suite à des œuvres concertantes de Tchaïkovski, Grieg, Ravel, Gershwin et R. Strauss, et à deux albums solos consacrés à Brahms puis à Grieg et Mendelssohn.

César Franck, notamment dans ses œuvres symphoniques, a besoin d’être défendu ainsi, avec conviction mais sans esbroufe. Voilà donc un enregistrement particulièrement bienvenu.

Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9 

Pierre Carrive

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