Au service de l’œuvre, délicatement, énergiquement : le Dialogues des Carmélites » de Francis Poulenc à Liège

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A l’Opéra de Liège, ce sont des Dialogues des Carmélites d’une grande lisibilité-audibilité, d’une grande force émotionnelle, que l’on découvre ces jours-ci.

Compiègne, avril 1789. La révolution française s’annonce. Blanche de la Force, une jeune fille bien née, plutôt fragile psychiquement, annonce à sa famille sa décision d’entrer au couvent, chez les Carmélites. Nous l’y retrouvons. Elle s’y confronte d’abord à la Prieure qui, interrogeant sa décision, lui fait comprendre très nettement que le couvent est une maison de prière et pas un refuge. Elle se confronte ensuite à Constance, une autre jeune novice, solaire, elle. La Prieure, très malade, va mourir. Une mort terrible dans la mesure où la mère supérieure, en proie aux doutes, se rebelle contre cette mort : « Je suis seule, absolument, sans aucune consolation ». La Révolution ferme le couvent et en expulse les religieuses. Elles font le choix du martyre. C’en est trop pour Blanche qui s’enfuit. Elles seront finalement guillotinées. Blanche rejoindra ses soeurs sur l’échafaud.

C’est l’écrivain français Georges Bernanos qui a finalisé le livret de l’opéra, d’après une nouvelle de Gertrude von Le Fort. Francis Poulenc en a composé la partition. L’œuvre est créée en italien à la Scala de Milan en janvier 1957, à l’Opéra de Paris ensuite, et en français, en juin de la même année.

Elle est bouleversante, même pour qui n’aurait qu’un rapport lointain avec les choses de la foi. Au-delà de son anecdote, de sa vérité historique (ces seize sœurs-là ont bien vécu ce qui est ici raconté ; elles ont été béatifiées en 1906), Dialogues des Carmélites nous interpelle sur le sens à donner à notre vie, élan impulsif ou décision mûrie, sur notre rapport aux autres, sur le sens du devoir et du sacrifice, sur nos convictions, sur la mort. Elle est bouleversante surtout dans la mesure où un récit, un opéra en occurrence, a trouvé les moyens d’exprimer, d’intensifier tout cela, dans un livret ramassé, dans les mots et dans les notes d’une partition.

Encore faut-il les faire vivre scéniquement ! A l’Opéra de Liège, c’est une réussite.

Marie Lambert-Le Bihan s’est mise au service de l’œuvre, délicatement. Ses religieuses sont en blanc et bleu marial : elles n’étaient pas destinées à mourir, mais à célébrer, jour après jour, dans leurs prières, la foi qui les constitue. Ce qui subjugue, dans le travail de la metteure en scène, c’est sa façon de créer comme de merveilleux tableaux : un art de la mise en place -étagement, profondeur, regroupements protecteurs, mise à l’écart solitaire, abattement- dans un espace que ne vient encombrer aucun élément de décor illustratif -au fond du plateau un écran subtilement illuminé. Voilà qui dit les réalités et les péripéties d’une tragique aventure, les états d’âme des unes et des autres. Et si bienvenues aussi les séquences de chants religieux ou la fameuse scène de la guillotine, si poignante  -avec un pan de décor relevé en forme de lame fatale. Lisibilité d’une mise en scène.

Quant à Speranza Scappucci -que nous sommes si heureux de retrouver à Liège, aujourd’hui devenue une étape dans un parcours magnifique-, elle dirige l’œuvre avec la précision, la netteté, l’inspiration concentrée qui la caractérisent -j’étais idéalement placé pour la voir diriger. Son approche est énergique, jamais elle ne cède aux pièges d’un sentimentalisme malvenu. La partition de Poulenc n’a guère besoin d’effets redondants. Elle multiplie des moments orchestraux (je n’ai pas écrit intermèdes) qui font écho à ce qui vient d’être vécu et qui annoncent ce qui va advenir. Audibilité d’une direction.

Quant aux interprètes -que nous avons découvertes lors de la générale- elles se fondent dans la prosodie de Poulenc : leurs chants épousant les sons, les sons épousés par leurs chants. Alexandra Marcellier nous donne à vivre les « intermittences » de sa Blanche, des inquiétudes aux doutes ou aux cris ; Julie Pasturaud nous bouleverse en prieure en proie à une si douloureuse remise en question de ses convictions ; Julie Boulianne est une Mère Marie de l’Incarnation élément modérateur dans ce contexte apocalyptique ; Sheva Tehoval est une Sœur Constance d’allégresse responsable ; Claire Antoine s’impose en Madame Lidoine, la nouvelle prieure, qui rassemble et stimule si intensément ses sœurs. Bogdan Volkov en Chevalier de La Force a les emportements affectueux d’un frère si attentifs à sa petite sœur. Patrick Bolleire-le Marquis de la Force, Coline Dutilleul-Sœur Mathilde, Valentine Lemercier-Mère Jeanne, François Pardailhé-l’Aumônier du Carmel. Sans oublier Kamil Ben Hsaïn Lachiri, Marc Tissons et Benoît Delvaux. 

Stéphane Gilbart

Liège, ORWL, le 19 juin 2023

Crédits photographiques : ORW-Liège / J.Berger

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