Baroque hors normes

par

Orazio BENEVOLO  (1605-1672) :  Missa Si Deus Pro Nobis à 16 voix-Magnificat à 16 voix-Regna Terrae.  Claudio MONTEVERDI (1567-1643) : Cantate Domino. Girolamo FRESCOBALDI (1583-1643) : Canzon Vigesimanona. Giovanni Pierlugi Da PALESTRINA   (1525-1594) : Beata es. SAINT AMBROSE (c.340-397) : Aeterna Christi munera et martyrum victorias. ANONYME : Deux motets. Le Concert Spirituel, dir.: Hervé NIQUET.2018-DDD-60'31-Textes de présentation en anglais, français et allemand-Alpha 400

Hervé Niquet l'éclectique... Brillant dans l'opéra français du Grand Siècle, remarquable dans des répertoires aussi divers que Purcell, Haendel, Vivaldi, Chabrier, Halévy ou Félicien David, infatigable défricheur et découvreur de pépites, le fondateur du Concert Spirituel nous étonne une nouvelle fois dans ce disque qui fait la part belle à Orazio Benevolo, compositeur hors normes qu'il avait déjà abordé, il y a des années de cela, avec sa Missa Azzolina (Naxos). Sur le présent cd, il enrichit son programme de pages, magnifiques, de Monteverdi, Palestrina et Frescobaldi, entre autres. Le court mais spectaculaire Cantate Domino du premier, si difficile à chanter, est ici enlevé avec une maestria confondante et un accompagnement instrumental aux couleurs sombres très saisissant. Mais la surprise vient de ce presque inconnu qu'est Benevolo, que l'on nommait plutôt Benevoli il y a 30 ans et plus. Les plus anciens des discophiles se souviendront sans doute d'un improbable disque DHM où l'Escolania de Montserrat et le Tölzer Knabenchor tentaient de ne pas se perdre corps et bien dans la Messe à 53 voix, un ovni musical qu'il faudrait réenregistrer dans des conditions décentes.

Le chef-d'oeuvre absolu qu'est la Messe Si Deus pro nobis, présentée ici, est un exemple d'école de l'offensive menée par le mouvement de la contre-réforme initié au Concile de Trente entre 1545 et 1563. Les constructions polyphoniques complexes de Palestrina seront l'une des premières armes de la papauté pour contrer la déferlante luthérienne. Monteverdi prendra le relais, parmi d'autres grands noms. Vers 1660, c'est le tour de Benevolo avec cette oeuvre remarquable à tous égards. « Séduire et éblouir » était l'un des objectifs de ce mouvement aux 16ème et 17ème siècles. Le moins que l'on puisse dire est : mission accomplie, et combien ! Dès le Kyrie, on est frappé tant par les dimensions exceptionnelles, les effets sonores, les 16 voix qui se fondent dans des harmonies parfois inouïes, littéralement, que par la spiritualité qui en émane. On en vient à penser que personne avant Bach dans sa Messe en si n'est allé aussi loin dans l'élévation et la glorification du Tout-Puissant. Une piété immense, une douleur profonde sont servies par une écriture d'une étonnante modernité : par moments, on se croirait presque chez César Franck ! Le sommet est sans doute atteint avec un immense Credo de près de 14 minutes: une oeuvre dans l'oeuvre.

On me trouvera naïf mais j'imagine mal comment un citoyen lambda du 17ème siècle aurait pu préférer les austères cantiques de Luther, souvent harmonisés de façon simpliste, à l'inimaginable magnificence de cette musique d'une ampleur et d'une complexité très rarement rencontrées, toutes époques confondues. Ce merveilleux festival de pyrotechnie mais aussi d'intense ferveur s'achève sur un bouquet final particulièrement détonnant: un brillant Magnificat, lui aussi à 16 voix. Dire que Niquet et ses amis sont superlatifs ne serait qu'euphémisme: visionnaire, audacieux, inspiré, le chef français transfigure chaque détour de cette phénoménale partition et semble s'y mouvoir avec une confondante aisance. A ne pas rater !

 

Bernard Postiau

Son: 10 Livret: 10 Répertoire: 10 Interprétation: 10

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.