Camille Pépin, compositrice

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À l’occasion de la sortie dans les bacs de son très bel album Chamber Music dont nous nous sommes fait l’écho par ailleurs, Camille Pépin nous a fait l’honneur de répondre à quelques questions. La jeune Française de 28 ans aux nombreuses récompenses n’est pas seulement une compositrice talentueuse ; c’est également une personnalité attachante, d’une spontanéité, d’une fraîcheur et d’une humilité désarmantes. Aussi rythmés et dansants que certaines de ses œuvres, ses propos sont ponctués de points d’exclamation qui trahissent un tempérament et un enthousiasme fulgurants. C’est peu dire que nous sommes tombés sous le charme de cette artiste dont nous serons sans aucun doute amenés à reparler…

Ce premier disque consacré à vos œuvres répond-t-il à l’idée que vous vous en faisiez? Comble-t-il toutes vos attentes?

Absolument ! Mais il faut dire qu’en tant que compositrice et productrice de l’album, j’étais à l’abri des mauvaises surprises. J'ai été présente à chaque étape : j'ai imaginé ce projet il y a maintenant deux ans, j'ai travaillé avec les musiciens qui me suivent depuis le début et qui ont créé les pièces, j'ai assuré la direction artistique de l'enregistrement et j’ai produit le disque. J'avais également choisi dès le départ mon ingénieur du son, Clément Gariel ; nous avions déjà travaillé ensemble et j'avais beaucoup aimé son travail. J'ai donc pu enregistrer en toute confiance avec mes interprètes et ingénieur du son de prédilection ! Le fait d'enregistrer à l'Ondif (Orchestre national d'Île-de-France) a été tout aussi important pour moi, car leur concours de composition Îles de Création a été un véritable tremplin dans ma carrière. Bref, j'ai été très heureuse de réaliser cet enregistrement "en famille" et n'ai aucun regret concernant ce disque. J'en suis même fière…! 

Avez-vous des appréhensions quant à l’accueil que lui réserveront le public et la critique ?

Non. Le disque aura forcément de bonnes et de mauvaises critiques car, dès qu'il s'agit de musique contemporaine, les gens aiment se positionner, voire s’y sentent obligés, au lieu de se contenter de découvrir l'album comme ils l’auraient fait pour d’autres types de musique. C'est politique - et triste. J’y suis préparée et cela ne contrariera pas mon bonheur d'avoir sorti ce disque. Mes interprètes sont les meilleurs ambassadeurs de ma musique. Et comme, en l’occurrence, ce sont aussi eux qui ont créé les œuvres figurant sur le disque, je n’aurais pas pu trouver mieux pour les défendre !

Lorsqu’on vous lit dans la notice qui accompagne cet enregistrement, on ressent chez vous une irrépressible envie de partager les fruits de votre art. Vous n’écrivez-donc pas (seulement) pour la postérité…

À vrai dire, je n'écris pas du tout pour la postérité. C'est d'ailleurs une question que je ne me pose jamais ! J'écris parce que cela me fait du bien, me réconforte, me nourrit, me "répare". C'est peut-être tout à fait égoïste... Et comme je pense beaucoup aux interprètes pour lesquels j'écris, j'ai sans doute aussi ce besoin des autres. Ecrire pour autrui, ça me stimule énormément dans mon travail ! 

Chostakovitch disait qu’un compositeur sans public n’a aucune raison d’être. À quelles concessions êtes-vous prête en vue de séduire le vôtre ?

Aucune idée. Je me dis que tant qu'il y aura des musiciens et un public pour défendre et apprécier ma musique, je serai heureuse. Mais c'est aussi à nous d'aller chercher le public dans tous les coins et recoins, tous les villages, toutes les écoles (il n'y a pas de petits concerts), et pas seulement dans les salles de concerts où le public est, dans une certaine mesure, déjà "acquis". J'adore fréquenter les petits festivals, car il y est beaucoup plus facile d'échanger avec le public de manière informelle. Il est souvent beaucoup plus curieux et enthousiaste qu'on l'imagine ; et jamais réticent à écouter de la musique d'aujourd'hui ! Il faut casser cette image de la musique contemporaine "dure et inaccessible" : je ne pense pas qu'elle le soit. Peut-être les noms des compositeurs contemporains attirent-ils moins les foules que le grandes figures du répertoire classique ou romantique, parce qu’ils sont moins connus du public ; et c'est normal -comment rivaliser avec Mozart ou Tchaïkovski ? Faire connaître les créateurs de notre époque prend du temps et ne sera possible que grâce aux interprètes qui font vivre nos œuvres et aux programmeurs des salles de concert. 

Aujourd’hui encore, les femmes compositeurs (Fanny Hensel-Mendelssohn Bartholdy, Clara Wieck-Schumann, Alma Mahler-Werfel, Lili Boulanger, Cécile Chaminade, Édith Canat de Chizy,…) semblent avoir bien du mal à s’imposer dans les programmes de concert et la discographie –Sofia Gubaidulina, Kaija Saariaho et quelques autres étant les exceptions qui confirment la règle. La mixité a pourtant toujours été de mise parmi les interprètes. Comment expliquer cet état de fait ? Avez-vous l’impression de devoir davantage "jouer des coudes" que vos collègues masculins pour vous faire connaître ?

Non, je n'ai pas l'impression de devoir lutter plus qu'un compositeur. C'est un métier exigeant et il l'est pour tout le monde. Peut-être un peu plus encore pour les jeunes. Il n'y a absolument rien qui empêche les femmes de composer aujourd'hui. Il suffit de regarder les brillantes carrières de Kaija Saariaho ou Jennifer Higdon pour s’en rendre compte. Je pense que le fait de parler des compositrices en raison du fait qu’elles sont des femmes, et non parce que ce sont des personnes qui créent, ne leur rend pas service. Je rêve du jour où l'on parlera de leurs œuvres sans mettre en avant le fait qu'elles sont des femmes.

Si je vous disais que vos œuvres, bien que dénuées de toute sensiblerie, sont d’une grande sensibilité, mettriez-vous un terme à cette interview en tempêtant que je n’entends rien à votre musique ?

Absolument pas ! Au contraire, je vous remercie de l'avoir ressenti et d'oser le dire ! "Sensibilité" est un terme que l'on utilise rarement pour parler des œuvres d'aujourd'hui et je crois pourtant y être confrontée chaque jour lorsque je travaille. Cela fait partie de ma démarche. Le fait que l'on se rende compte que j'écris avec le cœur me fait plaisir. 

Votre nom est davantage associé à l’orchestre qu’à la musique de chambre, alors que c’est cette dernière que met à l’honneur votre disque...

C'est vrai que j'ai beaucoup étudié l'orchestration et que j'adore l'orchestre ! Ma première pièce est d'ailleurs une œuvre orchestrale. J'adore mêler les timbres, créer des textures grâce à des alliages inattendus, rechercher toujours la couleur la plus adéquate à l'expression de mon univers intérieur...

Les combinaisons instrumentales dans Lyrae, Luna et Chamber Music sont peu banales. Faut-il y voir des orchestres de chambre miniatures (un chef est requis pour diriger Chamber Music et bienvenu pour "piloter" les musiciens dans Lyrae) ?

Mon travail est toujours guidé par les timbres et les couleurs. Ma démarche n'est pas différente lorsque j'écris une œuvre de musique de chambre. Que je compose une pièce pour quatuor ou pour orchestre, ma façon de penser est la même. Cela donne des parties individuelles très riches et exigeantes pour les interprètes : ils remplissent ainsi plusieurs rôles en même temps et doivent avoir conscience de la hiérarchie des plans sonores en groupe. D'ailleurs, il est amusant de relever que mes interprètes sont aussi musiciens d'orchestre... : Raphaëlle Moreau est violon solo du Gustav Mahler Orchestra, Natacha Colmez-Collard est violoncelle solo de l'Ondif, Alexandre Collard est cor solo de l'Orchestre de Lille, Louise Salmona est violoniste à l'Opéra Bastille, Anaëlle Tourret est harpe solo à l'Elbphilharmonie de Hambourg, etc. Et Célia Oneto Bensaïd transcrit elle-même des œuvres pour orchestre qu'elle joue au piano ! Aussi, les deux sextuors présents sur le disque [Chamber Music et Lyrae, ndlr]  sont dirigés par Léo Margue.

À l’inverse des autres œuvres figurant sur cet album, dont l’effectif est assez étoffé et le ton volontiers lyrique, il règne dans Indra une violence peu commune ; or, vous vous contentez dans cette pièce d’une formation très réduite (violon et piano). Vous ne vous êtes pas facilité la tâche…

En effet... J’ai composé cette pièce spécialement pour le duo formé par Raphaëlle Moreau (violon) et Célia Oneto Bensaïd (piano). Il s’agit donc d’une œuvre écrite "sur mesure". Raphaëlle et Célia étant toutes deux des femmes et des musiciennes de caractère, j'ai pensé à ce thème de la guerre (Indra est le dieu de la guerre et de l'orage dans la mythologie hindoue) qui leur convient à merveille. La partie de violon comme la partie de piano requièrent une technique irréprochable et un son très puissant. Et je vous confirme que la tâche n'a pas été facile. Je me souviens m'être dit : "Comment vais-je faire tout ça avec seulement deux instruments ?!". Qui plus est, je connaissais personnellement les interprètes, qui sont aussi des amies, et j'avais la pression supplémentaire de ne pas les décevoir ! 

Votre musique semble s’inscrire au confluent de multiples influences. Thierry Escaich et Guillaume Connesson, vos professeurs, ainsi que Steve Reich, sont régulièrement cités, mais on sent un tel foisonnement d’idées que la liste de vos modèles est probablement bien plus longue et complexe. Vos œuvres sont-elles, par exemple, perméables aux musiques populaires (le jazz, la pop et le rock, en particulier…) ? 

Perméables, probablement. Mais les musiques populaires ne font pas spécialement partie de ma culture. Bien que n’étant pas née dans une famille de musiciens, j'ai commencé à écouter la musique classique très jeune. Mes parents sont fans des Beatles, de Pink Floyd et de Supertramp. J'aime personnellement beaucoup Genesis. J'ai aussi grandi avec la musique de film. Baignée dans les musiques des Walt Disney et autres John Williams, ma génération a eu la chance de connaître une période très riche. Mais à la maison, je n'écoute quasiment que de la musique contemporaine (Steve Reich, John Adams, Guillaume Connesson, Thierry Escaich, Marc-André Dalbavie, Jennifer Higdon), ainsi que Bartók, Debussy, Stravinsky... Et aussi beaucoup de musiques de films ! 

Quelle œuvre née sous une autre plume rêveriez-vous d’avoir composée ?

Le choix est difficile ! Il y en a beaucoup que j'aurais aimé avoir écrites. Le Sacre du Printemps de Stravinsky, Tanz-Suite de Bartók, Music pour 18 musiciens de Reich et la musique des Harry Potter (1 & 3) de John Williams… 

La jeune génération de compositeurs français dont vous êtes a-t-elle dépassé les querelles d’écoles, anéanti le clivage entre les pro- et les anti-bouléziens ?

Oui, je le pense. Nous sommes beaucoup plus libres que la génération précédente au même âge et nous n'avons pas à nous soucier d'appartenir à une chapelle ou à une autre : il y a de la place pour tout le monde. Cela, nous le devons à la génération précédente, qui nous a ouvert la voie. Je pense notamment à Guillaume Connesson ou à Thierry Escaich. Les compositeurs de ma génération ont la chance de pouvoir se revendiquer d'esthétiques différentes et néanmoins être amis. Je trouve cela merveilleux ! 

Avez-vous d’autres projets ? Des commandes à honorer ? Un autre disque en gestation ?

Du côté des commandes, je viens de terminer un concerto pour violoncelle, clarinette et orchestre qui sera créé en novembre prochain par Yan Levionnois, Julien Hervé et l'Orchestre de Picardie. J'écris actuellement un quatuor à cordes pour le Auryn Quartet qui sera créé cet été au festival du quatuor à cordes du Lubéron, puis au Musiktage Mondsee, en Autriche. Ma prochaine création aura lieu en mai avec l'Orchestre national de Lyon sous la direction de Leonard Slatkin, ce dont je me réjouis ! Et avant de penser à un deuxième album, je pars m'isoler à la Maison Messiaen, à la montagne, où j'ai le bonheur d'être en résidence. Voilà, vous savez tout !

Propos recueillis par Olivier Vrins

Les oeuvres de Camille Pépin : https://www.henry-lemoine.com/fr/compositeurs/fiche/camille-pepin  

Crédits photographiques : Natacha Colmez-Collard

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