Claire Désert, pianiste rare

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Pour ce deuxième concert dans la série Flagey On Air -courageuse initiative de Flagey, Musiq3 et Klara qui marque un timide retour du concert public sur nos scènes si tristement vides depuis le début du confinement, et dont l’atmosphère si particulière a été fort bien décrite par notre collègue Harold Noben dans ces colonnes récemment- le Studio 4 du paquebot de la place Flagey accueillait Claire Désert, une artiste d’exception. 

Avant de parler de partie purement artistique, il vaut la peine de revenir sur la façon dont ces concerts sont organisés, avec un maximum de 200 spectateurs, toujours à distance respectable les uns des autres sur chaque rangée de fauteuils dont une sur deux reste vide. L’impression est très étrange: on se sent à la fois très esseulé dans cette belle salle et en même temps immensément privilégié d’être parmi les rares à vivre ces moments de musique et de beauté. Surtout que l’impression d’isolement est encore accentuée cette fois par le port du masque à présent obligatoire dans les lieux de spectacle. Lorsqu’on regarde autour de soi, on ne sait pas trop si l’on prend part à une assemblée de chirurgiens ou de braqueurs de banque.

Cette étrange ambiance ne put entamer la bonne humeur de l’excellent duo formé par Camille de Rijck et Cécile Poss qui présentèrent la soirée tant à destination des spectateurs dans la salle que des mélomanes à l’écoute de Musiq3 par la magie du direct. Camille de Rijck commença d’ailleurs par expliquer que le moment que nous vivions était également exceptionnel pour Claire Désert, dont c’était le retour à la scène depuis le confinement et qui lui avait confié peu avant le concert qu’il lui semblait vivre un rêve.

Chaleureusement applaudie dès son entrée sur scène, la pianiste française -dont la délicate stature semble a priori ne pas correspondre au son étonnamment plein qu’elle pétrit en allant au fond des touches- ouvrit la soirée par une interprétation de premier ordre de la 17e Sonate, Op. 31 N° 2 de Beethoven, La Tempête

Il ne fallut guère de temps pour se rendre compte que Claire Désert -qui avouera pendant l’interview séparant les deux parties du récital ne pas jouer toutes les sonates du maître de Bonn- est une vraie beethovénienne. Il y a chez elle cette façon d’aller à l’essentiel, de ne pas s’embarrasser de joliesses de toutes façons hors de propos, voire de faire preuve à certains moments d’une certaine rugosité qui est la marque de cette honnêteté foncière, de ce sérieux sans sécheresse ni lourdeur et de cette vraie humilité qui distingue un certain type d’interprètes de cette musique, tels le très sous-estimé Hans Richter-Haaser, Serkin ou Backhaus. Après un premier mouvement joué d’un seul jet, Claire Désert offrit un Adagio à l’articulation impeccable et où le bref passage qui semble annoncer Schubert fut rendu avec beaucoup de tendresse. Quant à l’envoûtant Allegretto final, on a déjà entendu cet irrésistible mouvement perpétuel enlevé avec plus de grâce mais rarement avec plus de profondeur.

Autre mérite de cette interprète remarquable : elle ne se contente pas des tubes du répertoire standard, mais se donne la peine de trouver de véritables perles. 

C’est ainsi qu’elle offrit une très belle version  -jouée avec partition sur tablette- des Sept études sur un thème de Beethoven de Schumann (partition publiée pour la première fois en 1976 seulement), où l’immortel thème de l’Allegretto de la Septième symphonie se trouve métamorphosé  avec énormément d’imagination en ce que Schumann qualifiait modestement d’Exercices.

On félicitera également la pianiste d’avoir mis à son programme six des Elf Humoresken de Jörg Widmann, l’un des plus intéressants compositeurs d’aujourd’hui et qui se réclame ici ouvertement de Schumann, cependant souvent filtré par Bartók et Ligeti. Claire Désert -jouant ici avec partition papier- s’en montra une interprète inspirée, faisant preuve tour à tour de réflexes félins comme d’un romantisme sincère. Elle maîtrisa superbement l’espèce de course à l’abîme de la septième de ces pièces, jouée en dernier.

Retour à Schumann avec la grande Fantaisie. Op. 17. C’est à un véritable kaléidoscope d’émotions que nous convie la remarquable interprète qui fait preuve d’une logique musicale imparable dans une oeuvre qui paraît si souvent morcelée. Sa magnifique compréhension de cet extraordinaire alliage de poésie, d’agitation, de passion et d’indicible mélancolie débouche sur un dernier mouvement fascinant qui tient du rêve éveillé. Claire Désert s’implique ici corps et âme et vit davantage cette fascinante partition qu’elle ne la joue. Superbe.

On aurait cru la pianiste trop épuisée pour accorder un bis, mais devant l’enthousiasme justifié d’un public conquis, elle revint sur scène pour nous offrir un superbe «Oiseau-prophète» extrait des Scènes de la Forêt, toujours de Schumann.

Bruxelles, Flagey, le 12 juillet 2020.

Patrice Lieberman

Crésits photographiques : Jean-Baptiste Millot

 

 

 

 

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