Compositrices du XIXe siècle : Maria Malibran

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Comme souvent dans l’histoire, le rôle du père dans l’éducation musicale des filles est prépondérant. A ce titre, Manuel Garcia est extraordinaire : il a propulsé ses enfants dans le monde de la musique. Deux de ses filles sont devenues des « vedettes », des « stars internationales », comme on dirait maintenant. L’aînée est connue sous le nom de Maria Malibran ou même « La Malibran » et la plus jeune, sous celui de Pauline Viardot. Quels destins hors normes elles ont vécus !

La famille

Le père, Manuel del Pópulo Vicente Rodriguez García (Séville 1775 - Paris 1832). ,

Dès l’âge de six ans, le jeune Espagnol Manuel Garcia débute sa formation musicale à la cathédrale de Séville. Il y est enfant de chœur. Très vite, il développe ses dons. Dès l’âge de 17 ans, il est connu comme chanteur (ténor), compositeur, chef d’orchestre. C’est une personnalité très originale, un travailleur acharné, doué d’une voix superbe et d’une intelligence dramatique de premier ordre qui deviendra l’un des premiers chanteurs de son temps. Il magnifie l’opéra italien. C’est pour lui que Rossini écrit le rôle d’Almaviva de son Barbier de Séville. De plus, Il révéla à l’Europe étonnée, le véritable caractère du Don Juan de Mozart 2. Il ambitionne une renommée internationale et, fin 1806, il arrive à Paris, considéré comme le « Firmament musical » ou « La Mecque » par les musiciens de cette époque. Son épouse, Joaquina Sitchez, et son fils de deux ans, prénommé Manuel lui aussi, l’accompagnent, ainsi que Josepha présentée comme sa nièce, qui deviendra chanteuse professionnelle sous le nom de Giuseppina García Ruiz. Certains pensent qu’elle est une fille de son premier mariage avec la chanteuse Manuela Morales. C’est à Paris que naissent Maria et Pauline. Début 1808, il se fait engager au Théâtre-Italien où il se fait remarquer tant par son talent que par sa verve indomptable. J’aime la fureur indomptable de cet homme ; elle anime tout . On lui doit de nombreux opéras et opérettes en espagnol, italien ou français. Il est un maître de chant très qualifié, exigeant, impatient, violent de tempérament, d’une énergie prodigieuse qui forme, entre autres, ses enfants. Il emmène sa troupe en Italie, en Angleterre puis aux Etats-Unis et au Mexique, car il souhaite faire découvrir l’opéra italien aux Américains et aux Mexicains. Il décède à Paris à l’âge de 57 ans. Manuel García donne naissance à une fameuse dynastie d’artistes encore représentée de nos jours. Le perfectionnisme dynamique de Manuel García laisse sa marque sur trois continents et son héritage est propagé à travers le XXe siècle par ses enfants .

La mère, Maria Joaquina Sitchès, dite Briones (Espagne 1780 – Paris 1864), une actrice et soprano espagnole très douée, est aussi engagée au Théâtre-Italien. Elle est la seconde épouse de Manuel Garcia. C’est une personne douce, bienveillante, toujours encourageante et énergique. Après la mort de son mari, elle enseigne le chant à sa fille cadette, Pauline.

Le fils de Manuel et de Joaquina, Manuel Patricio Rodríguez García (1805-1906) hésite entre les professions de chanteur, de marin et de chimiste. Après avoir travaillé comme matelot, il devient chanteur (baryton), puis bifurque vers l’enseignement du chant et des techniques vocales, tout d’abord au Conservatoire de Paris (1830-1848), puis à la Royal Academy of Music de Londres (1848-1895). On lui doit l’invention du laryngoscope. Fort attiré par la chimie, il eut, un temps, un petit laboratoire dans sa demeure. Son fils Gustave et son petit-fils Albert devinrent aussi chanteurs et auteurs d’ouvrages sur la technique vocale. 

Maria Malibran 

María Felicia García Sitches (ou María Felicitas) connue sous le nom de Maria Malibran ou de La Malibran (Paris 24 mars 1808-Manchester 23 septembre 1836)

Quand María naît à Paris, Manuel García, son père, est engagé depuis six semaines au Théâtre-Italien. Elle a trois ans quand débutent les voyages liés au métier de ses parents. C’est vers l’Italie que les mènent tout d’abord les contrats. A Naples, elle débute sur scène dans le petit rôle de l’enfant dans l’Agnese de Paër. Elle a cinq ans et déjà une mémoire musicale remarquable. Son père voit en elle une digne héritière de son talent. Dès ses six ans, elle débute le solfège et le piano avec des maîtres français, tout en baignant dans le monde musical de son père. Toute la famille joue en musique, chez des particuliers, des saynètes cocasses imaginées par Garcia. Les voyages se multiplient : l’Italie, la France et l’Angleterre. Maria, à huit ans, parle couramment l’espagnol, l’italien, le français et l’anglais. 

Bien vite, le jeu est remplacé par le travail. Levée avec le jour, elle doit laver la vaisselle, cirer les parquets, tailler elle-même ses robes, en plus de l’apprentissage des langues, du dessin, de la composition musicale, de l’escrime, … Son père a ouvert une école de chant à Paris et il assujettit sa fille aux exigences d’une méthode particulièrement rude. Que de luttes et de travail acharné il faut pour que sa voix, faible d’abord, acquière l’étendue extraordinaire qui lui ouvrira le monde de l’opéra ! Le père est un maître sévère, souvent cruel, exigeant, impatient, implacable, jetant même la partition au visage de sa fille si elle détonne et ne ménageant pas les taloches. On me blâme, je le sais, mais il le faut. Maria ne peut devenir une grande actrice qu’à ce prix. Son caractère indomptable a besoin d’un poignet de fer pour la conduire…. María possède un courage extraordinaire. Rien ne peut l’empêcher d’atteindre le but qu’elle s’est fixé, mais que son enfance est triste ! Elle a 14 ans quand son père lui hurle Ecoute-toi donc, coquine ! Tu n’as donc pas d’oreille ? Tu ne seras jamais qu’une choriste ! Redressant la tête avec fierté, elle lui répond : Cette choriste aura plus de talent que vous ! . Elle atteindra une voix merveilleuse en forçant son organe à une parfaite soumission, au prix de peines, de patience et par le fait d’une inébranlable volonté jointe à une intelligence supérieure et à un sentiment musical absolument exceptionnel. 

Elle n’a pas seize ans quand elle remplace au pied levé une cantatrice souffrante au King’s Theatre de Londres. Elle est la voix féminine d’un duo du Roméo et Juliette de Zingarelli. Giovanni Vellutti (1780-1861), son partenaire, le dernier castrat de l’histoire de l’opéra, veut la piéger. En répétition, il chante la mélodie avec simplicité. Au concert, il chante le solo en premier et le surcharge de fioritures qui déchaînent les applaudissements des spectateurs. Quand María s’élance dans « l’arène », elle s’empare des mêmes traits que Vellutti, les orne davantage et accède au triomphe par une improvisation superbe et hardie. Résultat : tandis qu’éclatent les applaudissements, Vellutti la pince cruellement au bras et lui apprend ainsi qu’il n’y a pas de gloire sans amertume !

D’Angleterre, la famille passe à New York avec la troupe italienne de García. María s’attaque à tous les premiers rôles du répertoire, tant de l’opéra bouffe que de l’opéra dit sérieux. La pression du père ne faiblit pas et les scènes violentes sont légions, malgré les tentatives de la douce madame García pour adoucir le caractère de son mari. Quand un banquier américain d’origine française, François Eugène Louis Malibran (1781-1836) la demande en mariage, Manuel García s’y oppose violemment : Malibran a une cinquantaine d’années et María, pas encore 18 ans ! Ce qu’ils ne savent pas, c’est qu’Eugène Malibran est au bord de la faillite et que la dot de María l’arrangerait vraiment. Celle-ci lui écrit qu’elle l’adore. ….Cher Eugène, bm, bm, bm, tiens, voilà trois baisers que je t’envoie, et une demi feuille en blanc pour que tu t’en imagines autant que tu voudras . A cette époque, elle éprouve une grande lassitude et un rejet de l’opéra, carrière que ce mariage lui permettra d’abandonner. Un désir ardent d’échapper à l’autorité de son père la poursuit. García devient de plus en plus excédé par ce projet qui, finalement, se réalise le 23 mars 1826 devant Louis Glué d’Estinville, consul de France à New York. Au paroxysme de la colère, García part avec toute sa troupe au Mexique. 

Les premières semaines du mariage sont très agréables pour María. Elles l’initient à une passion qui deviendra dévorante : l’équitation. Toutefois, la dot ne fait que retarder légèrement la faillite du banquier. Malibran n’a plus, pour vivre, d’autre ressource que le talent de sa femme. Loin de tenir rigueur à son mari, María, délicate et généreuse, reforme une nouvelle troupe mais, en Amérique, ce n’est pas le succès escompté. Aussi, elle retourne à Paris avec son beau-frère. C’est là que sa gloire va s’établir ! Elle est hébergée par des sœurs de son mari puis par la Comtesse de la Sparre et aidée par la Comtesse Merlin qu’elle a connue dans son enfance et qui tient salon. Cette dame lui sera un soutien indéfectible et elle écrira même des livres dithyrambiques en l’honneur de sa protégée. María était belle de son talent sur la scène, mais son véritable triomphe était dans les improvisations intimes. C’était là où, livrée à ses propres inspirations, elle devenait le génie même de la musique. Quelle richesse d’idées neuves, quel goût exquis lorsqu’elle donnait une nouvelle vie à un air, en le parant tantôt de mille nuances suaves, tantôt des vives et brillantes couleurs de l’arc-en-ciel !... Au bout de quelque temps, elle finissait par électriser de telle façon ceux qui l’écoutaient, qu’on ne se sentait plus posé sur la terre : on croyait marcher sur les nuages. C’est que la tête était au ciel ! … 

La tessiture de la voix de María est très large : elle part du sol grave de contralto jusqu’au mi suraigu. De ce fait, elle peut jouer des rôles féminins et masculins. Cette voix tant travaillée est vibrante, pleine d’éclat et de rigueur. Son timbre, velouté dans les morceaux tendres, peut éclater comme la foudre ou être réduit à un pianissimo qui fige la foule dans le silence, ce qui n’était nullement dans l’air du temps. L’art de María tranche sur celui de beaucoup de chanteuses d’opéra de l’époque en ce sens que, habile en composition, elle n’hésite pas à multiplier les ornements, points d’orgue, à introduire des pièces fugitives inventées parfois dans l’instant. Elle sait être tragédienne jusqu’à l’insoutenable et bouffonne jusqu’au burlesque. La violence des leçons reçues de son père, son courage et un travail acharné lui ont permis d’acquérir le don assez rare de savoir pleurer en chantant. Souvent elle traduit et joue les opéras dans la langue du pays d’accueil et agrémente le spectacle d’œuvres de son père en espagnol ! Le même morceau du répertoire reçoit ainsi des couleurs différentes à chaque interprétation. Jointe à sa science du théâtre, son interprétation suscite la surprise et l’admiration quasi générale. Parmi ses « fans », on trouve Rossini, Donizetti, Chopin, Mendelssohn, Liszt, Théophile Gauthier et le critique musical Fétis. Un bémol à cet engouement est apporté par le peintre Eugène Delacroix. Il ne la comprend pas, lui qui préfère un style pur, réglé comme du papier à musique, fixé d’avance. Il trouve ses effets exagérés et la compare à des jeunes talentueux dont l’âge « bouillant » et l’inexpérience les persuadent qu’ils n’en feront jamais assez.

María se partage entre les salons et les scènes. Londres, Paris, l’Italie se l’arrachent. Des musiciens de renom, dont Rossini, lui écrivent des œuvres. Sa réputation dépasse les murs des théâtres car, massée à l’extérieur, la population moins aisée peut profiter, sinon du spectacle, du moins de la musique, quand l’acoustique des salles le permet.

Elle ne ménage jamais ses forces. Excessive en tout, elle ne connaît pas d’obstacle à ce qu’elle prétend faire. Son talent étant recherché au théâtre et apprécié dans les salons, elle se voit chaque jour sollicitée de tous côtés . Son tempérament excessif et fougueux la pousse au plaisir avec une ardeur égale à celle qu’elle apporte au travail. Amazone intrépide, elle peut monter à cheval dès l’aube jusqu’au moment de la répétition et recommence parfois ensuite. Le soir, après le spectacle, elle chante, danse, joue, rit, parfois jusqu’à 4 heures du matin, sans songer à la limite de ses forces. Elle fait toujours ce qui lui plaît, quitte à s’évanouir avant d’entrer en scène. Même dans ces conditions, elle puise assez d’énergie pour se remettre rapidement et proposer un spectacle prodigieux.

Elle est la providence de ses camarades dans l’embarras. Après avoir soulagé leur plus pressante détresse, elle se dépense pour eux, donne un concert à leur profit. A Bruxelles, elle offre par exemple un spectacle au profit des réfugiés polonais. Elle accompagne ses actes de charité de procédés ingénieux qui masquent la donatrice !

Belle, jeune et idolâtrée, mais pure et nullement coquette, elle est l’objet de poursuites ardentes qui l’indisposent et n’a pas son pareil pour rejeter les indésirables ! 

En 1831, la Belgique l’appelle ! Au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles, elle excelle dans un programme très varié dont elle a le secret. Au Château de Chimay, où la musique est en grand honneur, María se trouve en présence du compositeur et grand violoniste belge Charles-Auguste de Bériot qui vient d’y jouer un de ses concertos. Au milieu des applaudissements, María s’approche de lui pâle, les yeux humides, … et lui dit qu’elle est bien heureuse de ses succès. Il lui répond qu’il est bien flatté de son suffrage, ce à quoi elle répond : mais non, ce n’est pas cela, mon Dieu !! Ne voyez-vous pas que je vous aime !... . Dès ce moment, une liaison de cœur unit les deux artistes . Très souvent, ils voyagent ensemble pour le travail. Lors d’une même soirée, il n’est pas rare que l’on présente des extraits d’opéras et des pièces purement instrumentales. 

C’est en Italie qu’elle apprend le décès de son père, âgé de 57 ans. Elle l’a revu rarement, mais ils ont parfois joué ensemble. Cette perte la désole et elle ne veut pas y croire. Pour les aider, elle invite sa mère et sa jeune sœur à résider, tant qu’elles le souhaitent, dans la villa que Charles-Auguste de Bériot a fait construire à Ixelles. Après la mort de son père, María Malibran est considérée comme la plus grande cantatrice de son temps, réclamée par Londres, Bruxelles, l’Italie où elle se prête aux plus grandes scènes. 

En 1832, enceinte de Charles-Auguste de Bériot, elle ne peut supporter l’ostracisme dont elle est victime et son jeu s’en ressent. Pensez donc : elle, si prude, être considérée comme une femme de mauvaise vie ! La rupture définitive de son mariage devient une préoccupation majeure. Qui peut l’aider ? Gilbert du Motier, marquis de La Fayette, personnage illustre aux Etats-Unis ! Elle lui fait grand honneur lors d’une représentation de Tancredi de Rossini au Théâtre-Italien de Paris. Le général s’installe dans une loge proche de la scène, sous les acclamations. María qui joue le rôle de Tancrède, paraît, le casque sur la tête et l’épée au côté. Fixant le Général, elle tire son épée et lui fait le salut des armes. La Fayette la prend en amitié.

Elle s’adresse donc à lui pour dénouer cet écheveau marital. Un divorce n’étant pas acceptable, l’annulation du mariage ne sera possible que si on détecte une faille juridique et voici ce qu’on découvre. Avant leur mariage, François Eugène Louis Malibran (1781-1836) avait pris la nationalité américaine, il n’était plus Français. Mademoiselle Garcia, quoique née en France, est Espagnole, car fille d’un artiste d’origine espagnole ne s’était pas fait naturaliser Française. Charles Louis Glué d’Estinville, le Consul de France, témoin de leur mariage aux Etats-Unis, n’avait pas le droit de le célébrer entre deux personnes qui, légalement, n’étaient pas des Français. Malgré des arrangements pécuniaires, dont Monsieur Malibran est friand, il faudra encore trois ans pour casser légalement cette union profondément déséquilibrée (6 mars 1835). Par surcroît, les amoureux doivent attendre minimum dix mois avant les noces, le délai légal avant le remariage d’une veuve (!). La cérémonie a lieu le 29 mars 1836 à Paris. Félix Mendelssohn écrit une aria accompagnée par un solo de violon pour fêter cet événement. Lors des noces, l’enfant du couple, un fils né à Paris, a déjà 3 ans. Il s’agit de Charles Wilfrid (1833-1914) qui deviendra pianiste virtuose et professeur, notamment, au Conservatoire de Paris. Maurice Ravel, un de ses étudiants, lui a dédié sa Rhapsodie Espagnole

María abuse de ses forces, se prodigue sans mesure et sans frein, brûle une vie qui pourrait être courte et dont elle veut savourer tous les instants . C’est ce tempérament excessif et fougueux qui sera la cause de sa fin prématurée. Elle a 28 ans, est enceinte de quelques mois de son second enfant quand un jour, à Londres, un notable lui propose une promenade à cheval . Charles-Auguste de Bériot, contrarié par ce projet, craint un accident et ne participe pas à l’expédition. María insiste, elle monte à merveille, et une petite troupe s’ébranle. Un participant jette son bonnet en l’air. Le cheval de Maria, effrayé, prend le mors aux dents. Elle tombe à la renverse sur sa croupe puis, le pied coincé dans un étrier, est traînée par terre. On la ramasse évanouie, la tête couverte de blessures, le visage meurtri et méconnaissable. On la ramène chez elle. Son mari n’y est pas, à son grand soulagement, car pour elle, l’essentiel est qu’il ne sache rien de l’accident. Elle lui fera croire qu’elle est tombée dans l’escalier. Le soir-même, s’étant copieusement maquillée, elle chante au théâtre, et supporte, sans se plaindre, des douleurs atroces. Elle ne se soigne pas, maintient ses prestations, retourne en Belgique. A Liège, elle donne un concert, accompagnée par sa jeune sœur Pauline qui y inaugure brillamment sa carrière. Suivent alors des déplacements à Aix-la-Chapelle, à Paris, … Ses souffrances reprennent. Elle a de fréquentes attaques de nerfs et on la voit dépérir. Pourtant, elle travaille à sa collection de romances dont La Mort, sur des paroles de Benelli :

Toc, toc, toc ! Qui va là ?

Ouvrez-moi, je suis la Mort

Elle place ce morceau à la fin du dernier recueil de ses compositions. Elle se met à faire usage de médications qui lui donnent l’illusion de la santé. Son état empire mais elle ne veut pas manquer ses prestations au festival de Manchester, à l’église et au théâtre. Elle réussit à chanter mais s’évanouit plusieurs soirs d’affilée, reprend chaque fois un peu d’énergie, jusqu’au 14 septembre. Après sa prestation héroïque au théâtre de la ville, elle tombe en syncope au retour dans sa loge. Luigi Lablache, avec qui elle chante depuis très longtemps, est atterré : un médecin veut la saigner ! Il court prévenir de Bériot. Par malchance, celui-ci donne une prestation suivie de nombreux rappels. Quand ils reviennent près de María, le sang coule des incisions du médecin, lentement le long des bras. Elle décède le 23 septembre 1836. Un repos absolu après sa chute l’aurait-elle sauvée ? La douleur de Charles-Auguste de Bériot est si violente qu’on le ramène à Bruxelles. S’ensuit alors un vrai chemin de croix pour cet artiste auquel la ville de Manchester refuse le droit d’enterrer son épouse en Belgique. La mère de María va jusque là et on lui permet de ramener sa fille qui est finalement enterrée au cimetière de Laeken. Une foule immense, en pleurs, assiste à ses obsèques. Trois formations musicales l’accompagnent : la Société d’Harmonie d’Ixelles (dont de Bériot est le président), la Société de Philharmonie de Bruxelles et la Musique du 1er Régiment des Guides belges. Elle repose dans le mausolée qu’a fait ériger son mari et à l’intérieur duquel il a fait dresser une statue de son épouse en Norma, rôle-phare dans lequel elle excellait. Sur le socle de cette statue, on peut lire quelques vers d’Alphonse de Lamartine (1790-1869) :

Beauté, génie, amour, furent son nom de femme,

Écrit dans son regard, dans son cœur, dans sa voix !

Sous trois formes au ciel appartenait cette âme.

Pleurez, terre, et vous, cieux, accueillez-la trois fois !

 Alfred de Musset (1810-1857), très triste lui aussi, lui dédie des stances mélancoliques  :

« O Ninette ! où sont-ils, belle muse adorée,

Ces accents pleins d'amour, de charme et de terreur,

Qui voltigeaient le soir sur ta lèvre inspirée,

Comme un parfum léger sur l'aubépine en fleur ?

Où vibre maintenant cette voix éplorée,

Cette harpe vivante attachée à ton cœur ? »

« Ce qu'il nous faut pleurer sur ta tombe hâtive,

Ce n'est pas l'art divin, ni ses savants secrets :

Quelque autre étudiera cet art que tu créais ;

C'est ton âme, Ninette, et ta grandeur naïve,

C'est cette voix du cœur qui seule au cœur arrive,

Que nul autre, après toi, ne nous rendra jamais. »

Compositions 

Pour ceux qui se souviennent d’elle, cette artiste est considérée plutôt comme chanteuse d’opéra, or elle est aussi une compositrice. La Comtesse Merlin, admiratrice inconditionnelle de María Malibran, est l’une des rares biographes qui lui reconnaisse ce don dans son ouvrage « Madame Malibran » , écrit après le décès de l’artiste. Pour l’honorer, la Comtesse transforme parfois la réalité. Elle réfute l’idée que La Malibran ait fait imprimer et vendre des publications car, à cette époque, la réputation d’une femme est compromise si elle devient une « femme d’argent ». C’est ce souci qui a étouffé le désir de Fanny Mendelssohn et de Clara Schumann de faire connaître plus largement leurs œuvres par la publication. Cela peut sembler étrange dans le cas de La Malibran au regard de sa grande célébrité comme chanteuse d’opéra et des sommes qu’elle gagne ainsi mais, dans ce cas, ce ne sont pas ses œuvres personnelles qu’elle présente. Le fait de valoriser financièrement ses propres créations est considéré, à l’époque, comme inconvenant pour une femme ! 

María Malibran compose uniquement dans le genre « musique de chambre vocale », du style de la « musique parisienne de salon », des barcaroles mélancoliques, des soli, des nocturnes pour deux voix similaires, des chansonnettes comiques que n’importe qui peut chanter. Elle compose sur des textes qu’elle reçoit. Cette musique est très différente de ce qu’elle interprète sur scène et n’est jamais chantée dans de grands rassemblements publics. Elle est conçue pour des salons privés, comme celui de la Comtesse Merlin. Les seules exceptions sont des arias qu’elle ajoute d’autorité à des œuvres de Mozart, Rossini, Niccolini, et qu’elle interprète sur scène. Ces arias et certains embellissements sont retranscrits pour piano par un de ses amis, Ignaz Moscheles, en deux œuvres virtuoses, Bijoux à la Malibran. Par ce biais, on peut se faire une idée des variations et fioritures qu’elle apportait à ce qu’elle chantait sur scène.

Les salons parisiens sont bien connus à l’époque. Ce sont des endroits privés, souvent des espaces féminins, mondains, confinés dans des frontières sociales et artistiques étroites. La musique qu’on y entend, généralement composée par des hommes et loin d’être marginale, est associée à une véritable « constellation » d’activités dont des récits politiques, des charades, des devinettes, des tableaux vivants, des jeux, des danses, …, baromètres du goût collectif de l’assemblée. La qualité des activités permet aux maîtresses des lieux d’asseoir leur réputation mondaine. La musique que La Malibran compose pour ces occasions n’est pas précisément une vitrine de son talent. Elle la chante au milieu du bruit et des bavardages, parfois tard le soir. Pour ses duos, elle choisit de chanter avec des chanteuses reconnues, la Comtesse Sparre (qui tient aussi un salon), la Comtesse Merlin et parfois avec des professionnelles.

Durant les dix dernières années de sa vie, María Malibran publie, dans différentes maisons d’édition (Londres, Naples, Milan, Leipzig, Paris), quatre collections de chants qu’elle a composés, dont beaucoup sont dédicacés . Il existe un album lyrique, qu’elle a globalement dédié au Général La Fayette, regroupant quatorze chansonnettes, romances et nocturnes mis en musique avec accompagnement de piano. En voici quatre titres :

Chanson Poète Dédicace
Le réveil d’un beau jour Ambroise Bétourné Général Lafayette
La tarentelle, chansonnette Ambroise Bétourné Comtesse Merlin
Le lutin, nocturne à deux voix égales Marie-Emmanuel-Guillaume-Marguerite-Mathieu Théaulon Comtesse de la Sparre
La morte. Le moribond Antonio Benelli Luigi Lablache

On estime à plus de 50 les œuvres publiées avant ou peu après sa disparition. D’autres ont été perdues.

Ixelles se souvient de sa célèbre citoyenne :

- Le pavillon choisi par Charles-Auguste de Bériot pour sa famille est devenu l’actuelle maison communale d’Ixelles.

- Deux rues y portent son nom : la rue Malibran et la petite rue Malibran. 

- Une seigneurie nous rappelle son souvenir 

« Résidence Malibran, Maison de Repos et de Soins, sise rue Malibran. »

- Une polyclinique y a vu le jour : « Polyclinique Malibran », sise aussi rue Malibran. 

Laeken a l’honneur d’être le lieu de sa sépulture. Le cimetière, longé par la rue des Artistes, abrite son mausolée et le tombeau de son mari, Charles-Auguste de Bériot.

Il existe, au Conservatoire Royal de Bruxelles, un Fonds Maria Malibran riche de plus de 250 pièces d’une valeur historique considérable.

Des cantatrices de renom, telles Joan Sutherland (1926-2010) et Cecilia Bartoli (née en 1966), ont honoré la mémoire de la diva mythique en interprétant les rôles écrits pour Maria Malibran ainsi que les pièces les plus brillantes de son répertoire

Anne-Marie Polome

Crédits photographiques : Bibliothèque royale de Belgique, Bibliothèque du Conservatoire royal de musique de Bruxelles, Bibliothèque national de France.

 

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