Weinberg en sonates

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Mieczyslaw WEINBERG (1919-1996) : Sonates pour violon et piano, volume 2 : Sonate n° 4 op. 39 (1947), Sonate n° 5 op. 53 (1953) et Sonate n° 6 op. 136bis (1982). Ensemble des Equilibres : Agnès Pyka, violon et Dimitri Vassilakis, piano. 2019. Livret en français et en anglais. 54.52. Arion ARN68842.L’année du centenaire de la naissance de Mieczyslaw Weinberg aura été celle de la reconnaissance définitive. Trop longtemps confiné dans l’ombre de son ami Shostakovitch, ce compositeur de première importance dispose maintenant d’une discographie digne de son talent, même si certains aspects de sa production doivent encore être éclairés. Dans le domaine de son abondante musique de chambre, Weinberg a composé six sonates pour violon et piano. Le présent CD propose les trois dernières. La violoniste Agnès Pyka, déjà présente dans le premier volume, avait alors pour partenaire le pianiste Laurent Wagschal (Arion ARN68839). Il faut savoir qu’Agnès Pyka, qui a étudié notamment auprès de Franco Gulli et de Giuliano Carmignola, a créé en 2006 l’ensemble à géométrie variable « Des Equilibres », ce qui lui a permis de se produire entre autres avec Fazil Say ou Jan Talich et de collaborer avec des compositeurs de notre temps. Son partenaire pour ce deuxième volume des sonates de Weinberg est Dimitri Vassilakis, soliste depuis de nombreuses années à l’Ensemble Intercontemporain, ce qui lui a fourni l’occasion de travailler avec Xenakis, Berio, Stockhausen ou Kurtag et d’enregistrer des pages de Boulez ou Ligeti. Il s’est aussi consacré à Jean-Sébastien Bach.

« Danse macabre, les sonates pour violon tardives de Mieczylaw Weinberg », titre la notice du livret. Les deux premiers termes conviennent tout particulièrement à la Sonate n° 6 de 1982, moment où le compositeur apprend des détails sur le sort de sa famille, ses parents et sa sœur, qui ont été tués au camp de travail de Trawnicki, tenu par les SS, sans doute pendant l’année 1943. Les deux mouvements, dédiés à la mémoire de la mère de Weinberg, ressemblent à un long et poignant cri de douleur. Le Moderato initial s’ouvre par une déchirante séquence du violon, qui s’exprime seul pendant près de cinquante mesures. On est frappé par l’atmosphère de désolation et d’immense tristesse qui se dégage des onze minutes de la sonate, l’Adagio qui la conclut se déroulant comme une inconsolable plainte. Lorsqu’il se lance dans cette ultime sonate pour violon et piano, Weinberg n’a plus composé pour ce duo instrumental depuis une petite trentaine d’années. Pendant ce long laps de temps, il a écrit une douzaine de symphonies (plus passionnantes les unes que les autres) et de la musique de chambre, dont dix quatuors. C’est donc poussé par des réminiscences tragiques qu’il compose cette sixième sonate

Mais la Sonate n° 5, qui date de 1953, est née elle aussi dans des moments terribles. Elle est dédiée à Shostakovitch qui était intervenu avec courage en écrivant à Lavrenti Béria, bientôt directeur du KGB, pour demander la mise en liberté de Weinberg, mis en prison en raison de ses liens familiaux avec l’un des accusés du complot des « blouses blanches ». Weinberg fut incarcéré pendant onze semaines ; c’est la mort de Staline, survenue le 5 mars 1953, qui permit sa relaxe. La cinquième sonate pour violon et piano apparaît comme un acte de retour à la liberté, en quatre mouvements dont trois allegros, avec des contrastes marqués, des envolées de l’archet et une impression globale d’une vive expressivité où l’optimisme, peu souvent de mise chez Weinberg, pointe l’oreille.

Quant à la Sonate n° 4, datée de 1947 et dédiée à Leonid Kogan, elle comporte elle aussi quatre mouvements, en continu, dont trois adagios. C’est une période un peu plus sereine pour Weinberg, après les terribles épreuves de la seconde guerre mondiale et avant la funeste année 1948 qui verra l’assassinat de son beau-père, le comédien juif Solomon Mikhoels, exécuté en pleine rue pour avoir suggéré la création d’une république autonome juive en Crimée. Dans cette sonate, douceur, apaisement provisoire et solidité dominent, dans un dialogue à la fois souple et lyriquement fluide. 

Agnès Payka et Dimitri Vassilakis ont enregistré ces trois sonates de Weinberg au studio de Meudon en mai et juin 2019. Ils traduisent avec la pudeur et l’émotion qui conviennent l’univers tourmenté du compositeur. On appréciera l’engagement de la violoniste dans toutes ses interventions, en particulier dans le chant de douleur du début de la Sonate n° 6 dont elle traduit le déchirement avec une intense dignité.

Son : 9  Livret : 9  Répertoire : 9   Interprétation : 9

Jean Lacroix

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