« Le serpent a sonates », nouvelle série de concert au Centre de Musique de Chambre de Paris

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Inauguré en novembre 2015 par le violoncelliste Jérôme Pernoo, le Centre de Musique de Chambre de Paris aborde ses concerts sous des formes nouvelles, libérées de tous les carcans et cérémonials de la musique classique. Il crée des spectacles musicaux où une troupe d’interprètes, dont la plupart sont des étudiants et des jeunes diplômés du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, jouent tous les morceaux du grand répertoire par cœur, avec des mouvements et des déplacements minutieusement réglés selon le scénario et la mise en espace de Jérôme Pernoo. Le spectacle est conçu pour mettre en valeur le compositeur et les contextes historiques et artistiques des œuvres choisies. En résidence à la Salle Cortot attachée à l’Ecole Normale de Musique de Paris, idéale pour la musique de chambre, ils présentent le même programme neuf fois, les jeudis, vendredis et samedis à 21h pendant trois semaines. Il est précédé par le « single » à 19h30, un concert où une jeune formation de chambre (trio, quatuor…) joue une seule œuvre d’une durée de 30 à 45 minutes. Entre ces deux concert, « Freshly composed » permet à des jeunes compositeurs de présenter en 10 minutes leurs dernieres œuvres qu’ils interprètent eux-mêmes. Afin de préparer les représentations, les musiciens suivent des répétitions en immersion, presque en stage intensif, pour s’imprégner de la musique. Cela tisse un lien étroit entre eux, crée une unité, ce qui transparaît en toute évidence dans leur interprétation qui atteint toujours un niveau de perfection étonnant. Autre grand succès du CMCP, c’est « Bach and Breakfast » : les spectateurs sont accueillis, un dimanche matin, par un café, un croissant et une partition, en l’occurrence une cantate de Bach ; après une répétition avec un chef de chœur, ils chantent lors d'un concert qui suivra.

Réinventer le concert classique

Cette saison a vu naître une nouvelle série, le « serpent à sonate ». Les deux premiers concerts portaient sur deux compositeurs nés la même année, 1685, Domenico Scarlatti et Jean-Sébastien Bach. Une marionnette de serpent vert à sonnettes, pourvu d'« écailles » qui dessinent un clavier de piano, est manipulée selon la tradition du Théâtre noir, filmée et projetée sur le mur de fond de la scène. Il explique avec humour les contextes historiques et musicaux de la fin du 17e siècle, car lui, il rampe toutes les rues de l’Europe en agitant sa queue à sonnettes et a tout vu ! Là aussi, Jérôme Pernoo réinvente le concert. Composé de deux parties avec un entracte (jusque-là, c’est classique), la première partie est d’abord consacrée à l’introduction par notre charmant serpent. Les musiciens entrent ensuite en scène et jouent une première fois une œuvre entière. Puis, ils la décortiquent en l’analysant et expliquent comment la musique est « fabriquée » (ce verbe est adéquat car ils mettent à la lumière l’aspect artisanal de la partition), dans un langage et une manière de parler faciles d'accès, même pour les néophytes complets. Ensuite, le spectateur entend à nouveau l’œuvre entière, cette fois en prêtant attention aux clés d’écoute qui viennent d’être exposées. Dans la deuxième partie, on poursuit le concert normalement, avec ou sans quelques paroles.

Antoine Tamestit et Masato Suzuki dans les Sonates de Bach

Le lundi 6 janvier, l’altiste Antoine Tamestit et le claveciniste et chef d’orchestre Masato Suzuki ont mobilisé une deuxième fois notre animal (après Lucas Debargue pour Scarlatti en novembre) en présentant les trois Sonates pour viole de gambe et le clavecin BWV 1027 à 1029 de Bach. Le concert marquait aussi la parution du disque reprenant le même programme. C’est leur concert enfin organisé à Paris, unique pour l’instant, alors qu’ils ont déjà parcouru une grande partie du monde pour cet effet. Antoine Tamestit prend la parole pour éplucher la partition avec des exemples de fugues, de syncopes ou d’arpèges qui composent les quatre mouvements. Il y insère des anecdotes personnelles offrant le parfum d’une confession, rappelant qu’il était bercé dans ses jeunes années par des enregistrements de Bach par le Bach Collegium Japan, et à quel point il rêvait de jouer avec Masato Suzuki, le fils du célèbre chef Masaaki Suzuki. Les mots sont si simples et si avenants qu’on aime forcément davantage ce qu’ils jouent !

L'interprétation est époustouflante. Antoine Tamestit joue sur son alto monté en cordes de boyau avec un archet baroque. Les partitions pour l’alto et la viole de gambe utilisent la même clé d’ut, les tessitures sont similaires, mais la spécificité organologique de chaque instrument produit un son et une vibration différents. Ce soir, nous sommes portés par un son riche, vivant et enveloppant, bienveillant même de l’alto, complété, agrémenté, ou « augmenté » par le clavecin qui est parfaitement en phase dans l’inspiration. La virtuosité oui, mais plus que cela, il y a la musique qui s’anime presque toute seule, la génie du cantor incarné par les doigts et l’archet des deux musiciens. La légèreté des trilles, les changements subits de couleurs selon les notes, de véritables souffles qui dessinent tant de phrasés, l’échange tantôt joyeux tantôt grave entre les instruments… Tout cela nous montre des potentiels que ces partitions proposent, encore et toujours à explorer plus de trios siècles après leur composition. Le public et les nombreux musiciens baroques, notamment des clavecinistes, qui étaient présents dans la salle (malgré la grève qui ne semble pas s’arrêter, un mois après le début du mouvement) ont été fort impressionnés par l’engagement de Tamestit et de Suzuki qui ont fait montre de leur humilité face au génie de Bach, tout en puisant la musicalité dans la profondeur de leur intarrissable intelligence de musicien.

Pour plus d’information sur le Centre de Musique de Chambre de Paris, visitez son site web.

Crédits photographiques : Victoria Okada

Victoria Okada

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