George Zacharias, à propos de Skalkottas

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Le violoniste George Zacharias est la cheville ouvrière d’un disque Bis épatant consacré à des œuvres concertantes avec violon du compositeur grec Nikos Skalkottas. Le musicien nous y propose l’enregistrement de la nouvelle édition révisée du Concerto pour violon mais surtout la première au disque du Concerto pour violon et alto dont il a reconstitué la partition. Crescendo Magazine a voulu en savoir plus et a interviewé George Zacharias. 

Quelle est, selon vous, l'importance de ce Skalkottas dans la musique du XXe siècle ?

Skalkottas aurait dû devenir au cours de sa brève vie l'un des représentants les plus importants de la deuxième école viennoise et en particulier du sérialisme (l'accent étant mis sur le « conditionnel »…).

Schoenberg, avec qui il a étudié la composition à Berlin, le considérait certainement comme l'un de ses principaux étudiants en composition. L'estime dans laquelle Schoenberg tenait Skalkottas devient évidente dans sa correspondance avec Robert Emmett Stuart, directeur du St. Louis Institute of Music (lettre datée du  27 janvier 1940, 8 années complètes après que Schoenberg ait quitté Berlin et ait vu/entendu pour la dernière fois une des compositions de Skalkottas -un véritable témoignage de son admiration envers son élève) :

Les meilleurs de ma « Meisterklasse an der Akademie der Künste zu Berlin » sont N. von Hannenheim, Peter Schacht, Nicolas Skalkottas et Winfried Zillig (1927-1932) [...] Nicolas Skalkottas est un compositeur très doué, un excellent violoniste. et bon pianiste. Il était dans ma 'Meisterklasse' mais est retourné dans son pays natal, la Grèce, en 1932…”. En effet, Skalkottas avait quitté Berlin pour Athènes, estimant que la montée du nazisme était quelque chose de temporaire qui allait bientôt s'effacer...

Selon l'histoire, Schoenberg n'a plus rencontré Skalkottas, ni revu aucune de ses compositions post-berlinoises de son vivant. Néanmoins, l'impact de Skalkottas est clairement évident dans l'essai de Schoenberg Der Segen der Sauce où il place Skalkottas parmi l'élite de ses étudiants. « La bénédiction du pansement » a été écrit à l'origine en 1948 et publié en 1950, un an après la mort prématurée de Skalkottas, dans le livre Style et idée : "La dureté de mes exigences est aussi la raison pour laquelle, parmi la centaine de mes élèves, seuls quelques-uns sont devenus compositeurs : Anton Webern, Alban Berg, Hanns Eisler, Karl Rankls, Winfried Zillig, Roberto Gerhard, Nikos Skalkottas, Norbert von Hannenheim, Gerald Strang, Adolph Weiss”

Skalkottas est décédé  en 1949,  à l'âge de 45 ans, dans l'obscurité à Athènes, au plus fort de la guerre civile grecque d'après-Seconde Guerre mondiale ; la plupart de ses compositions sont restées inconnues pendant des décennies. 

En vérité, son langage sériel est un domaine à part entière, fondamentalement différent de celui de Schoenberg et de sa classe. Skalkottas a introduit à lui seul les notions extraordinaires de « sérialisme fractal et multidimensionnel », de « volumes orchestraux transparents » et de « son transcendantal dans la musique ». Comme Hans Keller l'a dit avec élégance : « Nikos Skalkottas : An Original Genius » (The Listener ; 9 décembre 1954)

Qu'est-ce qui vous séduit personnellement dans la musique de Skalkottas ?

Skalkottas est pleinement conscient que sa musique est et semble extrêmement compliquée. Cependant, il ne fait aucun compromis sur ses idées sérielles complexes et ne compose pas non plus pour un public restreint. Au contraire, le moteur de chacune de ses œuvres est sa profonde notion de romantisme à travers le sérialisme. Il croit fermement en un langage sonore romantique défendu par Brahms, tout en poussant les horizons du sérialisme à l'extrême. Skalkottas tente ainsi de rendre cette musique complexe accessible à un public plus large, sans se limiter aux « musiciens avertis ».

C’est de loin l’aspect le plus intrigant et le plus stimulant de sa musique : elle semble en quelque sorte tonale au grand public, portant des références tonales et rythmiques continues, mais en même temps elle reste extrêmement compliquée et pleine de pensée philosophique pour l’auditeur averti...

Pouvez-vous nous parler de la nouvelle édition du Concerto pour violon ? Qu'apporte cette nouvelle édition ?

La nouvelle édition de l'UE a été préparée par le Dr Mantzourani en 2019 et a correctement corrigé les erreurs éditoriales et les oublis présents dans l'édition précédente. Il s’agit d’une révision excellente et approfondie de toutes les partitions manuscrites survivantes et d’un véritable défenseur du Concerto pour violon.

Pour l'enregistrement lui-même, je n'ai pas pu m'empêcher de placer sur mon pupitre la véritable partition autographe, de la main de Skalkottas. Après avoir étudié son travail pendant près de deux décennies, je me suis senti inspiré et impressionné par sa propre écriture pendant le processus d'enregistrement. On y décèle clairement des nuances qui ouvrent une mine d'informations à l'interprète, le meilleur de la présence du compositeur à l'enregistrement !

La "pièce de résistance" de cet album est le premier enregistrement du Concerto pour violon, alto et orchestre à vent. Comment avez-vous redécouvert cette partition ?

Mon premier contact avec la partition manuscrite du Concerto pour violon et alto remonte à 2004, lorsque je suis entré dans les archives Skalkottas à Athènes et j'ai demandé à la localiser. Je savais que cette œuvre existait dans les catalogues du compositeur, mais elle n'avait été ni éditée ni enregistrée.

Je mourais d’envie de voir comment diable un duo violon/alto pourrait survivre devant cet orchestre massif. Face à la partition orchestrale autographe, j'ai immédiatement réalisé que je détenais un chef-d'œuvre unique, véritablement un genre de répertoire à part entière.

Mon idée initiale était de prendre des photos numériques de chaque source manuscrite survivante (5 au total) et de préparer minutieusement une édition critique, note par note, marquage au crayon par marquage au crayon. Ce faisant, j'ai réalisé et admiré la profondeur du génie compositionnel et de l'authenticité de Skalkottas. Le résultat fut ma thèse de doctorat sur « Skalkottas le violoniste-compositeur », cinq ans plus tard... (2009 ; Royal Academy of Music). 

En raison du dialogue entre les deux instruments solistes et l'orchestre, dans un langage musical assez moderne. Cette partition n'est-elle pas très difficile à réaliser ?

Interpréter cette partition est une tâche herculéenne tant pour le violoniste que pour l’altiste. Mises à part les exigences techniques -qui sont sans précédent pour les deux instruments, la priorité était de faire sonner les solistes comme un seul instrument à cordes dans une harmonie absolue et une communication tonale/sentimentale. Skalkottas recherchait clairement un langage sonore proche du standard de Joachim ; après tout, ce dernier était son grand-professeur de violon (ayant enseigné à  Willy Hess, le propre professeur de violon de Skalkottas à Berlin). Skalkottas était un fervent défenseur de la « klarenheit » de Schönberg : il n'y a absolument aucune tolérance pour les « chuchotements musicaux » ou les notes douteuses …

En plus du labyrinthe de défis clairement instrumental, le défi d'équilibre contre l'énorme orchestre à vent était -encore une fois- sans précédent. Le jour où nous avons tous marché dans le Henry Wood Hall pour enregistrer, personne ne savait vraiment à quoi s'attendre… Ce fut un voyage de découverte passionnant et magique, et je suis éternellement reconnaissant envers toutes les personnes impliquées dans ce projet. En effet il ne s'agit pas d'un concerto pour violon, alto et orchestre à vent, mais bien d'un concerto pour 60 solistes instrumentaux...

Malgré son importance, l'œuvre de Skalkottas est encore trop peu connue en dehors des connaisseurs de la musique du XXe siècle. Pensez-vous qu’il y aura un revival de Skalkottas dans le futur ?

La communauté mondiale est certainement en train de (re)découvrir Skalkottas -le compositeur-violoniste- à l’heure où nous parlons. J’espère que cet enregistrement contribuera à accélérer cet élan et à orienter le public contemporain vers ce compositeur phénoménal.

Avez-vous d'autres projets impliquant la musique de Skalkottas ?

Absolument ! Restez à l’écoute pour la suite ! 

A écouter :

Nikos Skalkottas (1904-1949) : Concerto pour violon et orchestre A/K 22 (Nouvelle édition critique par Eva Mantzourani) ; Concerto pour violon, alto et orchestre à vents, AK 25. George Zacharias, violon ; Alexandros Koustas, alto ; London Philharmonic Orchestra, Martyn Brabbins. 2020 et 2022. Livret en anglais, allemand et français. 57’57’’. BIS 2554. 

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

Crédits photographiques : DR

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