La Vestale enflamme les Champs-Élysées

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Napoléon Bonaparte a cinq ans lorsque Gaspare Spontini voit le jour près d’Ancône en 1774. Au moment où les troupes françaises mènent la Première campagne d’Italie, le musicien part étudier à Naples et, sous la houlette de Piccini, compose plusieurs opéras bien accueillis sur les scènes ultramontaines.  

Tandis qu’à Paris le Premier Consul réordonne les institutions, fait jouer Polyeute et ériger la colonne Trajane, Spontini s’installe comme professeur de chant, adopte la nationalité française et cherche à faire représenter ses opéras comiques avec plus ou moins de réussite jusqu’à ce que la protection de Joséphine devenue Impératrice permette la création triomphale de sa Tragédie lyrique, La Vestale, en 1807.  

En dépit de son titre au parfum de version latine et d’une intrigue linéaire -une vierge amoureuse condamnée à mort pour avoir laissé s’éteindre le feu sacré de la déesse Vesta est sauvée in extremis par la foudre qui rallume le foyer-  la partition prend l’auditeur à contrepied.  

Ce qui étonne ? le sujet, la fougue et l’extrême des contrastes. Les échos guerriers se mêlent à des réminiscences mozartiennes ou gluckistes, à des inventions parfois abruptes comme à des sommets d’émotion (actes II et III), le tout dans une grande simplicité. Le flux sonore happe au passage la Tragédie lyrique du Grand siècle (mouvements de foule, décors, tempête) comme la vocalité italienne chère à l’Empereur.   

La version de concert, présentée ici, met opportunément en relief la profusion de l’orchestration, la tension dramatique, l’envergure rythmique et lyrique si caractéristiques de cette époque de transition -toutes qualités dont Berlioz, Rossini, en passant par Bellini (Norma,1831), le Grand opéra français (Meyerbeer, Halévy), Wagner et beaucoup d’autres se souviendront. Cuivres héroïques, houle de cordes ponctuées d’arpèges (harpe) ou de rustiques traits de flûte, prosodie tumultueuse parfois précipitée, reflètent l’audace et l’énergie d’un tempérament à l’émotivité exacerbée.

Sujet composite également : Étienne de Jouy qui signera le livret de Fernand Cortez deux ans plus tard, met en scène l’affrontement tragique entre le divin (feu sacré), les lois impitoyables et l’amour humain. Terreur et régicide sont encore proches et le recours aux références romaines opère comme une passerelle. Ainsi l’Empereur sous les traits du victorieux général romain Licinius réconcilie t-il l’ordre et la nature.

La Vestale va triompher pendant plus de cinquante ans pour renaître au siècle suivant dans sa version italienne grâce au génie belcantiste d’une Rosa Ponselle (Metropolitan Opera,1925) et de  Maria Callas en 1955 (Scala, mise en scène de Visconti).

Il y a dix ans, sur le même plateau, une version française dans une mise en scène ascétique privée de ballets avait intéressé sans convaincre. Cette fois, Christophe Rousset à la tête de ses Talens Lyriques prend la partition à bras le corps et la fait rutiler dans tout son éclat. D’un geste ample et précis, il fait ressortir les qualités de nuances et de fluidité du Vlaams Radiokoor, véritable armature de la partition. Servi tout autant par une distribution de haut vol, il parvient, après un premier acte assez statique (en l’absence des grands mouvements de scènes prévus par le livret), à concilier éclectisme et cohérence en dépit d’écueils périlleux pour les cuivres souvent à découvert ou d’enchevêtrements voix-orchestre.

Les tessitures et timbres choisis pour cette distribution offrent un heureux équilibre lyrique.  Le  héros Licinius trouve en Stanislas de Barbeyrac une incarnation pleine de vaillance aux côtés de son ami Cinna (Tassis Christoyannis) à la diction fine et soutenue. L’ampleur de l’émission et la richesse du timbre donnent des informations précieuses sur la générosité des profils vocaux. Même ampleur pour la Grande Vestale (vertigineuse Aude Extremo) et Julia (Marina Rebeka) qui passe habilement du hiératisme à l’émotion pure portée par une ligne de chant radieuse et souple. Nicolas Courjal prête une autorité sans concession au Grand Pontife tandis que David Witczak (Un Consul, Le Chef des Aruspices) se coule avec naturel dans chacune de ses brèves interventions.

La vulnérabilité de la petite Vestale, victime sacrifiée à la violence des prêtres et du peuple, inébranlable dans l’amour, finalement secourue par le ciel, répond du sort universel chaque fois que  la  fragilité des êtres  se fracasse sur l’orgueil des institutions.

Le public est conquis.

Paris, Théâtre des Champs Elysées,  le 22 juin 2022

Bénédicte Palaux Simonnet

Crédits photographiques : Jānis Deinats

 



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