Le festival Voce et Organo 2023, rencontre avec Arnaud Van de Cauter

par

Le festival bruxellois Voce et Organo est la porte d’entrée de la saison musicale. Son édition 2023 sera placée sous le thème de VOX ANGELI mais surtout l’inauguration de l'orgue Schyven restauré à l'église Notre Dame de la Chapelle. Crescendo Magazine rencontre Arnaud Van de Cauter, directeur artistique du festival. 

L’édition 2023 du festival est intitulée “la voix des anges”, pourquoi cette thématique ? 

Au Moyen-Âge, la voix domine la pratique musicale dans son ensemble. L’iconographie regorge de musiciens célestes. Ils sont figurés comme des figures angéliques dotées d'ailes, chantant et jouant toutes sortes d’instruments de musique, dont l’orgue. La Musica Caelestis et les Vox Angeli sont l’essence même du Festival Voce et Organo. 

Cette année plus que jamais avec des ensembles vocaux aux voix cristallines tout le long d’une programmation conçue en deux temps.

Tout d’abord, deux concerts de musique ancienne sur l’orgue Renaissance de l’église Notre-Dame de la Chapelle : le mercredi 6 septembre à 20h00 avec le contreténor français Paulin Bündgen et l’ensemble Celadon ; le jeudi 14 septembre avec la chanteuse autrichienne Michaele Riener et un ensemble de musiciens dirigé par l’organiste belge Bart Jacobs.

Ensuite, l'événement central de notre festival est l’inauguration de l’orgue de tribune de l’église Notre-Dame de la Chapelle. Construit par Pierre Schyven en 1890, muet depuis près de 15 ans, cet orgue romantique à la sonorité enveloppante a retrouvé son souffle. Ses « Voix Céleste » et « Voix Humaine » raviront nos oreilles, aux côtés des voix angéliques de 7 chanteuses de l’ensemble Psallentes (vendredi 8 septembre 20h00) et de celles des enfants du chœur Les Pastoureaux, (samedi 9 septembre à 16h00). 

Comme le précise le dossier de presse “le festival met à l'honneur le chant et l'orgue avec des invités de prestige”. Comment cette combinaison s’est-elle imposée comme l’ADN du festival ? 

L’intention a toujours été de proposer au public une programmation riche et variée où l’on entend à la fois de grands ensembles vocaux et instrumentaux et des œuvres pour orgue. Que ce soit lors des concerts de musique ancienne donnés sur l’orgue de style Renaissance qui se trouve dans la nef de l’église de la Chapelle ou, comme c’est le cas cette année, sur l’orgue romantique de tribune, les ensembles sont soutenus par un orgue qui non seulement les accompagne mais tient aussi un rôle de soliste à part entière.

Par ailleurs, notre programmation est basée sur le rapprochement entre la voix humaine et l’orgue. Durant la Renaissance, la littérature pour orgue était écrite en imitation de la musique polyphonique vocale. Ensuite, pendant l’ère baroque, l’orgue accompagne une musique qui exprime les sentiments humains par une expressivité théâtrale. Plus tard, au XIXème siècle, l'orgue imite orchestre et chœurs à lui seul. Par ailleurs, l’orgue Schyven de l’église N-D de la Chapelle est particulièrement adapté à l’accompagnement du chant. Ce sera le cas lors du concert du 9 septembre à 16h00 : le Requiem de Gabriel Fauré, interprété par le chœur Les Pastoureaux, sera accompagné par l’orgue et un orchestre de chambre.

L’évènement de cette édition est l’inauguration de l’Orgue de tribune romantique Schyven de l'église Notre Dame de la Chapelle. Pouvez-vous nous parler de l’importance de cet événement ?  

L’inauguration d’un orgue est le résultat de nombreuses années d’espoir, de démarches et de travail. C’est toujours un grand événement : ce n’est pas tous les jours qu’on inaugure un orgue ! 

Les deux concerts que nous proposons sont le fruit de l’investissement d’une équipe de personnes déterminées qui ont œuvré pendant des années contre vents et marées dans le sens de la sauvegarde d’un patrimoine instrumental d’une valeur inestimable. L’inauguration est un moment particulièrement émouvant : une véritable renaissance que nous célébrons avec faste et réjouissances. C’est le moment où le patrimoine qui a retrouvé son lustre est dévoilé au public. Après tant d’années de silence, le vénérable instrument qui était empoussiéré retrouve sa jeunesse, son souffle, sa puissance. Ses vibrations nous transportent. Plus encore, il est légué aux générations futures…

L’orgue était silencieux depuis 15 ans, quels ont été les défis à surmonter pour lui permettre de se faire entendre à nouveau ?

Les défis à relever ont été particulièrement nombreux. Les concerts des 8 et 9 septembre sont le fruit de plusieurs dizaines d’années d’espoir et de démarches.

J’ai découvert cet instrument en 1988. Malgré de nombreux signes de fatigue déjà à l’époque, il témoignait d’une belle profondeur et d’une grande élégance et m’est immédiatement apparu comme un des plus beaux opus de Pierre Schyven, facteur d’orgue Bruxellois. Je me suis mis à rêver d’une restauration… 

La Fabrique d’Église y était sensible mais les moyens financiers manquaient. Seuls de petits travaux étaient réalisés de temps en temps afin de maintenir l’orgue tant que faire se peut. Mais, faute d’une restauration globale, il continuait à se dégrader… En 2000, afin de sensibiliser le public et les pouvoirs subsidiants, l’asbl Voce et Organo organise quelques concerts sur l’instrument. Des contacts sont pris avec la Ville de Bruxelles, dans l’espoir que celle-ci prenne la Maîtrise de l’Ouvrage en main. 

Hélas, en 2009, nous recevons une réponse négative de la Ville de Bruxelles, exactement au moment où l’orgue est devenu totalement inutilisable. L’espoir de faire restaurer l’orgue s’évanouissait… 

A cette époque, les membres de l’asbl Les Amis de la Chapelle préparaient les festivités du 800ème anniversaire de l’église de la Chapelle, pour l’année 2010. En tant que président de cette association, je travaillais aux côtés de l’abbé Jean-Luc Blanpain et de Claire Timmermans. Cette dernière était personnellement très engagée à la fois dans l’organisation du festival annuel Voce et Organo et dans les activités et des Amis de la Chapelle. Malheureusement, en mai 2012, Claire Timmermans décède. Quelques temps plus tard, contacté par la Fondation Roi Baudouin, j’apprends qu’elle a fait un legs afin de soutenir la restauration des orgues. En faisant ce don généreux, elle pensait en tout premier lieu à sa paroisse c’est-à-dire à l’orgue de l’église Notre-Dame de la Chapelle. Forts de cette manne inespérée, Les Amis de la Chapelle peuvent désormais s’engager dans un projet de remise en état globale de l’instrument. L’association prend la Maîtrise de l’Ouvrage. L’asbl Voce et Organo, la Fabrique d’église et la Communauté Polonaise de Bruxelles, utilisatrice de l’église Notre-Dame de la Chapelle, se joignent au projet. 

L’expertise de l’orgue et le suivi du projet sur le plan technique est confiée à Roland Servais, auteur de projet. Les travaux sont adjugés à Michel Jurine (Lyon), facteur d’orgues mondialement reconnu pour la restauration des orgues de style romantique.

Les travaux débutent en septembre 2019. Ils devaient se terminer en 2021. Mais c’était sans compter sur la pandémie de Covid 19 qui entraînera plus de deux ans de retard sur le calendrier initial…

Aujourd’hui, l’orgue a retrouvé sa splendeur et sa puissance et nous nous réjouissons de célébrer dans quelques jours cette renaissance rendue possible grâce au legs Timmermans et à la collaboration de nombreuses forces vives que nous remercions très chaleureusement.

Quelle est la place de cet instrument sur la carte des orgues de Bruxelles et de Belgique ?

Le facteur d’orgues belge Pierre Schvyen se trouve au croisement de traditions françaises autant que germaniques. Après avoir été chef d’atelier chez Merklin puis représentant de cette maison en France, il revient en Belgique pour s’installer à son compte, non loin de l’église de la Chapelle.

C’est donc assez naturellement qu’il est demandé à Pierre Schyven de construire un orgue en l’église de la Chapelle. A cette époque, l’architecte de la ville de Bruxelles, Pierre Jamaer, était en charge des travaux de restauration de l’église. Il souhaitait dégager la baie vitrée jusqu’alors masquée par un orgue monumental datant du XVIIIème siècle. Schyven a donc implanté un tout nouvel orgue sur la tribune ouest en veillant à ce qu’il soit discret à la vue et que le vitrail reste visible. Ainsi, lorsque l’on se trouve dans la nef de l’église, c’est à peine si l’on remarque la présence de deux meubles fluets sur les côtés de la tribune ouest. A l’époque où il n’existait aucune musique enregistrée, l’effet n’en était que plus saisissant : les fidèles entendaient de la musique jaillir comme par magie, d’un espace apparemment vide…

Caractérisé par une transmission pneumatique à la pointe de la modernité à l’époque et d’un style post-romantique avec quelques influences germaniques, cet orgue complète parfaitement le paysage organistique de la Ville de Bruxelles. La qualité du travail témoigne du fait que Pierre Schyven a pris le temps de peaufiner cet instrument de façon approfondie. Le rendu sonore en est particulièrement chaleureux et raffiné. C’était sa carte de visite. A la même époque, Schyven livrait le grand orgue du Conservatoire de Liège (1890) et, l’année suivante, l’orgue monumental de la Cathédrale d’Anvers (1891).

Comment avez-vous conçu la programmation du week-end inaugural qui mettra à l'honneur cet instrument ? 

Nous proposons deux concerts complémentaires à l’occasion desquels l’orgue sera présenté sous ses différentes facettes : en tant que soliste et en tant qu’accompagnateur. Trois organistes seront aux claviers dans des œuvres essentiellement signées par des compositeurs belges qui ont connu Pierre Schyven, son fils François ou qui ont joué ou inauguré des orgues Schyven.

Le vendredi 8 septembre à 20h00, j’ouvrirai le week-end en compagnie de l’ensemble Psallentes, sous la direction d’Hendirk Vande Abeele. Constitué par 7 voix féminines, Psallentes incarnera la « Voix des Anges » dans des pages extraites du Codex Calixtinus (12ème s) et de la Messe de Tournai (14ème s). J’interpréterai  à l’orgue un programme exclusivement belge qui mettra en évidence les différentes sonorités de l’instrument : la « voix céleste », la « voix humaine », les « jeux de fonds », les « flûtes harmoniques », le « grand chœur », le « tutti »... L’ancien directeur du Conservatoire de Bruxelles, liégeois d’origine, Joseph Jongen, dont nous fêtons le 150ème anniversaire de la naissance cette année, sera à l’honneur, aux côtés du Bruxellois Alphonse Mailly et du Liégeois César Franck. 

Le samedi 9 septembre à 16h00, Joris Verdin mettra à l’honneur l’école d’orgue de Jacques Nicolas Lemmens avec plusieurs de ses élèves : Alphonse Mailly, Clément Loret, Joseph Callaert. Au programme également, la française Cécile Chaminade. A cette époque, les tribunes d’orgues commençaient à s’ouvrir aux femmes. Ensuite, l’organiste Pascale Dossogne accompagnera le chœur d’enfants « Les Pastoureaux » et l’« Orchestre de l’Académie des Arts », sous la direction de Philippe Favette. Ils interpréteront le Requiem de Gabriel Fauré dans sa version originale pour orchestre de chambre, chœur et orgue.

Un week-end varié qui ravira les oreilles de toutes et tous, nous en sommes certains !

Le site du Festival Voce et Organo : https://www.voceorgano.be/

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot 

Crédits photographiques :  © Christine Van Hauwaert

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.