Liszt à Weimar, chef d'oeuvre et découverte  

par

Franz Liszt (1811-1886) : Faust symphonie, S.108 ; Mephisto Waltz n°3, S.216 (arrangement de Alfred Reisenauer et Kirill Karabits). Airam Hernández, ténor ; Herren des Opernchores des Deutschen Nationaltheaters Weimar, Staatskapelle Weimar, Kirill Karabits. 2022. Livret en anglais et allemand. 77’51’’. Audite. 97.761. 

Avec cet album, Kirill Karabits clôture un triptyque consacré à des grandes œuvres de Liszt composées dans sa période Weimar. La Faust symphonie est l’un des grands chefs-d'œuvre de son auteur par la puissance créatrice qu’elle développe tant par la beauté mélodique que par le génie de l’instrumentation. C’est une partition de chef qui nécessite un investissement total pour en transcender la force romantique. Il n’est pas étonnant que tous les grands chefs s’y soient essayés et que tant ont marqué la discographie par leur charisme : Leonard Bernstein (Sony et DGG), Riccardo Muti (Warner), Sir Georg Solti (Decca), Riccardo Chailly (Decca), Antal Doráti (Philips), Giuseppe Sinopoli (DGG). Dans un contexte discographique si relevé,  l'excellent Kirill Karabits tire son épingle du jeu par une direction à la fois attentive à la narration et aux équilibres afin de mettre en avant l’orchestration. Sa direction est ainsi alternée et vive sans être précipitée. La fin avec l’intervention puissante du chœur, soutenu par la belle voix du  ténor Airam Hernández est parfaitement impressionnante. La Staatskapelle Weimar, orchestre à l’histoire fascinante, est digne d’éloge par sa belle homogénéité, la lisibilité de ses tuttis et la musicalité de ses solistes des pupitres des bois. Sans atteindre les sommets de la discographie barrée par les versions précitées, cette lecture est une belle réussite. 

La nouveauté de cet album est la présence en conclusion de la Mephisto Waltz n°3 dans une orchestration d'Alfred Reisenauer et Kirill Karabits. Composée en 1883 pour le piano seul et dédicacée à Marie Jaëll, cette partition pousse les frontières de l'expérimentation harmonique :  elle contient des accords construits sur des quartes et plusieurs passages de triades mineures descendantes dont les notes de base sont séparées d'un demi-ton qui débouchent sur un effet musical inquiétant. On est ici dans le coeur du style expérimental tardif de Liszt. Le compositeur semblait avoir prévu une version orchestrale, mais elle n’a pas pu aboutir certainement du fait des ennuis de santé du musicien. Alfred Reisenauer (1863-1907), qui fut élève de Liszt avait commencé une orchestration. La partition  incomplète fut retrouvée dans des archives d'Alfred Reisenauer et le chef Kirill Karabits l’a complétée. Cet album, qui fait suite à la première mondiale donnée à Weimar en 2022, en propose la première au disque. L’interprétation fignolée et brillante du chef et de son orchestre sont un incontestable apport à notre connaissance de l’art du compositeur. 

Très bien enregistré, ce disque est à connaître tant pour la belle découverte de la Mephisto Waltz n°3 que pour la réussite artistique de haut vol. 

Son : 10 – Livret : 9 – Répertoire : 10 – Interprétation : 9

Pierre-Jean Tribot

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