L’opéra est une fête L’Elisir d’amore de Gaetano Donizetti 

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Cette année encore, les Chorégies d’Orange prouvent que l’opéra est une fête : des milliers de spectateurs (jusqu’à 8 000) s’y retrouvent pour vivre intensément un spectacle aux dimensions de l’immense scène aux immenses murs du Théâtre Antique.

A l’affiche : L’Elisir d’amore de Gaetano Donizetti. Un livret joyeusement idéal en ces temps de résurrection sanitaire : dans ce petit village campagnard, le pauvre Nemorino est éperdument amoureux de la belle Adina. L’impertinente se moque de lui et semble se laisser convaincre par les rodomontades de Belcore, un militaire autosatisfait. Mais voilà que Dulcamara, un « docteur miracle », surgit, qui propose à Nemorino un infaillible « élixir d’amour »… en fait, du vin de Bordeaux. Quelques complications d’amours-propres et quelques quiproquos plus tard, tout se conclura évidemment par un happy end.

Le livret est drôle, la mise en scène l’est tout autant. Adriano Sinivia emporte tout cela au rythme prestissimo qui convient. Il sait diriger ses chanteurs-acteurs. Le gigantisme des lieux l’a manifestement inspiré puisqu’il inscrit l’intrigue dans une scénographie rurale surdimensionnée. Tout est gigantesque : les épis de blé, le fer d’une pelle, la roue d’un tracteur, les fruits et les légumes. On est plongés dans une savoureuse hyperbole scénique. La farce est au rendez-vous notamment dans les costumes et les attitudes des militaires, dans une série de gags irrésistibles. Ce qui n’empêche pas des « arrêts sur image » pour la mise en évidence des moments sentimentalement expressifs de l’œuvre. 

Musicalement, c’est un régal : la partition de Donizetti est aussi inventive et savoureuse dans l’humour que dans l’émotion. On rit et on est émus. D’autant plus que Giacomo Sagripanti, bien suivi par l’Orchestre Philharmonique de Radio France et les Chœurs des Opéras Grand Avignon et de Monte Carlo, a compris qu’il ne fallait pas en rajouter dans l’expressivité et plutôt la faire vivre dans ses effets multiples et nuancés. Un travail musical que les spectateurs peuvent facilement apprécier puisque l’orchestre, placé devant le plateau, est bien visible de tous. 

Vocalement, c’est un bonheur : Anna Nalbandiants a toute l’effervescence de Gianetta, une paysanne « libérée » ; Andrzej Filonczyk la suffisance matamoresque du sergent Belcore ; Erwin Schrott, le déferlement verbal du charlatan Dulcamara ; Pretty Yende, les contrastes virtuoses de l’impertinente et de l’amoureuse. Quant à Francesco Demuro, remplaçant René Barbara souffrant, il s’impose en Nemorino. Manifestement, les solistes sont heureux d’être là : ils jouent leur rôle, mais ils jouent aussi comme joueraient des enfants. Heureux de ce qu’ils réussissent vocalement, manifestement heureux de le faire ensemble. D’autant plus qu’ils sont stimulés par un public qui les porte.

Un public composé d’une grande majorité d’habitués : ils s’apostrophent, se reconnaissent, pétillent de bonne humeur (certains étaient déjà là pour la générale). Bien avant la représentation, ils ont envahi la ville, si reconnaissables à ce sac dans lequel ils emportent les coussins, les caisses de carton aménagées, les chaisettes en bois-chorégies (un modèle exclusif…) qui adouciront la dureté redoutable des gradins. Comme les spectateurs passionnés des maisons d’opéra italiennes, ils vivent intensément la représentation. Et c’est ainsi que leurs acclamations enthousiastes ont amené le chef à inviter Francesco Demuro à donner un bis de « Una lagrima furtiva », l’air fameux de Nemorino.

Oui, l’opéra est alors une fête et réellement un « spectacle vivant » !

Stéphane Gilbart

Chorégies d’Orange, Théâtre Antique, le 8 juillet 2022

Crédits photographiques : C Gromelle

 

 

 

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