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Un Requiem allemand à Strasbourg

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L’orchestre philharmonique de Strasbourg sous la direction de Aziz Shokhakimov, le chœur de l’Orchestre de Paris, le baryton français Ludovic Tézier,et la soprano sud-africaine Pretty Yende sont en tournée pour offrir un Requiem allemand (ein deutsches Requiem) de Brahms.

Œuvre autant intime grâce à son utilisation des voix – Brahms composa nombre de lieder, et de chœurs ainsi qu’une magnifique Rhapsodie pour alto, tant par goût que pour vivre – et massive avec l’ajout de l’orchestre, ce requiem permit au compositeur de grandir hors de son angoisse de ne pas être capable, de rédiger une symphonie, surtout après la mort de Beethoven. Œuvre tenant à la fois de la neuvième symphonie que du Missa solemnis de Beethoven, Brahms reprend également ici aussi l’humanisme de compositeur de Bohn. Un sentiment de sobriété, de Nuchternheit pour le dire en Allemand, ébranlée par la mort, une confiance en soi fragilisée par la certitude de sa fin émane de cette œuvre extime, et lui confère son humanité.

Il faut saluer ici le chœur qui montre une droiture, une intimité et une harmonie remarquables pour des amateurs. Il en ferait presque oublier son poids sur l’orchestre. Il ne démérite en effet pas non plus, lui qui grandit à partir des violoncelles et contrebasses, et qui reprend de façon si belle le motif d’élan brisé parcourant l’œuvre. 

L’opéra est une fête L’Elisir d’amore de Gaetano Donizetti 

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Cette année encore, les Chorégies d’Orange prouvent que l’opéra est une fête : des milliers de spectateurs (jusqu’à 8 000) s’y retrouvent pour vivre intensément un spectacle aux dimensions de l’immense scène aux immenses murs du Théâtre Antique.

A l’affiche : L’Elisir d’amore de Gaetano Donizetti. Un livret joyeusement idéal en ces temps de résurrection sanitaire : dans ce petit village campagnard, le pauvre Nemorino est éperdument amoureux de la belle Adina. L’impertinente se moque de lui et semble se laisser convaincre par les rodomontades de Belcore, un militaire autosatisfait. Mais voilà que Dulcamara, un « docteur miracle », surgit, qui propose à Nemorino un infaillible « élixir d’amour »… en fait, du vin de Bordeaux. Quelques complications d’amours-propres et quelques quiproquos plus tard, tout se conclura évidemment par un happy end.

Le livret est drôle, la mise en scène l’est tout autant. Adriano Sinivia emporte tout cela au rythme prestissimo qui convient. Il sait diriger ses chanteurs-acteurs. Le gigantisme des lieux l’a manifestement inspiré puisqu’il inscrit l’intrigue dans une scénographie rurale surdimensionnée. Tout est gigantesque : les épis de blé, le fer d’une pelle, la roue d’un tracteur, les fruits et les légumes. On est plongés dans une savoureuse hyperbole scénique. La farce est au rendez-vous notamment dans les costumes et les attitudes des militaires, dans une série de gags irrésistibles. Ce qui n’empêche pas des « arrêts sur image » pour la mise en évidence des moments sentimentalement expressifs de l’œuvre. 

Musicalement, c’est un régal : la partition de Donizetti est aussi inventive et savoureuse dans l’humour que dans l’émotion. On rit et on est émus. D’autant plus que Giacomo Sagripanti, bien suivi par l’Orchestre Philharmonique de Radio France et les Chœurs des Opéras Grand Avignon et de Monte Carlo, a compris qu’il ne fallait pas en rajouter dans l’expressivité et plutôt la faire vivre dans ses effets multiples et nuancés. Un travail musical que les spectateurs peuvent facilement apprécier puisque l’orchestre, placé devant le plateau, est bien visible de tous. 

A la Bastille, on l’aime bien Manon

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Inspiré par l’aventure d’une petite provinciale vénale sauvée par l’amour au XVIIIe siècle, l’opéra de Massenet est immédiatement apparu comme une œuvre inclassable. Énigme d’une musique aussi subtile et paradoxale que Manon elle-même. Or, l’action se situe en 1721, une soixantaine d’années avant la Révolution et la Terreur. « Qui n’a pas vécu dans les années voisines de 1780, n’a pas connu le plaisir de vivre. » s’écriait Talleyrand.
C’est précisément cet hédonisme insouciant qui constitue la personne de Manon, la rend irrésistible, insaisissable et innocente. Musicalement, le compositeur a su miraculeusement exprimer la puissance d’un tel charme et la tristesse de sa perte. Réminiscences, rêves, brutalité du réel, ruptures entre le parlé-le chanté, orchestre-paysage de l’inconscient des protagonistes, tout contribue à cette sorte de jouissance-souffrance, de saveur douce-amère propre à ce qui fut et ne sera jamais plus. C’est la raison pour laquelle Manon, opéra comique comme La Dame Blanche, La Fille du Régiment, Carmen ou Le Postillon de Longjumeau, se place hors catégorie dès sa création en 1884.

Le metteur en scène Vincent Huguet propulse l’intrigue dans le tourbillon d’« Années Folles » (d’ailleurs plutôt sages) et identifie Manon à Joséphine Baker (beaucoup plus habillée tout de même), revenant ainsi aux conventions de l’« opéra comique » ; de celles qui firent les beaux jours de la « bonbonnière » Favart, lieu de prédilection de la bourgeoisie parvenue pour les présentations de mariage ... A l’écart des fastes du grand-opéra comme de la noirceur épurée à l’os (telle la récente mise en scène d’Olivier Py) sa relecture se révèle assez inoffensive (La vénale Nana d’Emile Zola n’est pourtant pas loin). Seule incongruité : l’histoire de cette petite fille de seize ans qui « aimait trop le plaisir » telle que l’avaient imaginée Massenet, ses librettistes et le public de 1884 n’a vraiment rien à voir avec l’émancipation féministe.