L’Orchestre National de Belgique brille au Klarafestival

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Oeuvre trop rare au concert comme au disque, la Faust-Symphonie de Liszt n’en est que plus à sa place au programme d’un festival qui se veut ambitieux. Et il faut dire que la version qu’en donnèrent dans le cadre du Klarafestival Hugh Wolff et le Belgian National Orchestra (on nous excusera de grimacer en utilisant cette appellation réputée plus porteuse) fut remarquable en tous points. Menés avec enthousiasme et lucidité par leur directeur musical -dont ceux qui l’entendirent il y a plusieurs années à la tête du même ensemble dans une mémorable Troisième de Mahler savent que les grandes fresques orchestrales ne lui font pas peur- les musiciens du National se montrèrent parfaitement à la hauteur des redoutables exigences de cette monumentale oeuvre qui exige de ses interprètes non seulement de l’endurance sur les près de 80 minutes de sa durée, mais aussi un véritable souffle épique dans ce chef-d’oeuvre dont les trois mouvements sont autant de portraits des protagonistes du Faust de Goethe.

Dès le premier mouvement-complexe évocation de Faust- le chef, adversaire de l’effet mais dominant parfaitement cette complexe partition, insuffla à ses troupes un enthousiasme et une volonté de bien faire qui n’allaient pas se démentir tout au long de l’oeuvre, ce qui nous valut une interprétation vraiment d’un seul tenant où s’illustra un orchestre non seulement motivé mais aussi en pleine forme: cordes éloquentes, bois poétiques ou ironiques selon les besoins (on félicitera en particulier un premier basson en pleine forme), cuivres remarquablement sûrs.

Après les complexités du portrait de Faust, le mouvement médian Gretchen fut tout empreint de la plus fine poésie dans ce touchant portrait de l’innocence et de la simplicité de Marguerite.

Le finale, grinçant scherzo et portrait de Méphistophélès, s’achève sur une brève apothéose à la fois puissante et exquise où le choeur d’hommes Octopus et le ténor solo (lyrique et viril Ilker Arcayürek) chantent le mystère de l’éternel féminin dans ces huit vers qui clôturent également la Huitième symphonie de Mahler.

Après avoir débuté, toujours sous le signe de Goethe, par la brève fantaisie orchestrale Erlkönig (le Roi des Aulnes) de Henze qui rend ici hommage au poète comme à Schubert, auteur de l’immortel lied mettant en musique la ballade du grand poète.

Mischa Maisky est un habitué du Palais des Beaux-Arts et les Variations Rococo de Tchaïkovski auraient dû lui aller comme un gant, mais il est difficile ici de cacher sa déception. On connaît les tics du violoncelliste et sa manie à vouloir trop souvent extraire à tout prix la dernière goutte de sentiment de la musique, même s’il fit montre ici le plus souvent d’une retenue de bon aloi. Bien sûr, sa technique a encore de quoi faire des jaloux et il lui reste toujours du tempérament à revendre. Hélas, la sonorité -jadis riche et pleine- de l’artiste apparut considérablement dégradée : il y a là quelque chose de rauque, d’élimé presque, qui déforce le propos de l’interprète et empreint de raideur la musique. La Sarabande de la Cinquième Suite de Bach donnée en bis le confirma: une interprétation certes digne et respectueuse de la partition, mais d’une sagesse curieusement desséchée et -osons le mot- franchement fatiguée. Méforme passagère ou inévitable poids des ans ? La question mérite d’être posée.

Bruxelles, Klarafestival, Bozar, le 22 mars 2019

Patrice Lieberman

Crédits photographiques : Caroline Talbot

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