Mark Wigglesworth magnifie les symphonies de Dmitri Chostakovitch

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Dmitri Chostakovitch (1906-1975) : Intégrale des symphonies. Netherlands Radio Philharmonic Orchestra, BBC National Orchestra of Wales,  Mark Wigglesworth. 1 coffret de 10 SACD Bis. 12h10 et 04s. 1996-2006. Livret en : anglais, allemand et français.  10 SACD BIS. 2593. 

 

Le label Bis a l’excellente idée de remettre en coffret son intégrale des symphonies de Dmitri Chostakovitch sous la direction du chef Mark Wigglesworth. Enregistrée au Pays de Galles et aux Pays-Bas entre 1996 et 2006, cette somme avait été mal comprise à sa sortie dans les pays latins, mais elle avait été des plus appréciées dans le monde anglo-saxon. Il faut dire que le chef défend une optique instrumentale et narrative plus que dramatique ou campée sur un vécu fort qui peut étonner, mais qui séduit au fil des écoutes.   

Dans le contexte pléthorique des intégrales et des enregistrements des symphonies de Chostakovitch, cette somme s’intègre dans un passage de relais entre les  générations de chefs. La première génération présentait toute une palette de baguettes historiques issues du monde soviétique comme les légendaires Evgueni Mravinsky ou Kirill Kondrashin, Evgueni Svetlanov, Kurt Sanderling, Guennadi Rojdestvenski, Rudolf Barshai, Dmitri Kitaenko ou encore Mstislav Rostropovich... avec, en point commun, la collaboration étroite avec le compositeur qui en faisait presque des disciples directs du message de Chostakovitch ; de l'autre côté du rideau de fer, il fallait compter avec des propagandistes comme Leopold Stokowski, Herbert von Karajan ou Leonard Bernstein.  La seconde génération présente des chefs “occidentaux” comme Bernard Haitink, Eliahu Inbal ou André Previn ou issus du bloc soviétique avec Mariss Jansons, Neeme Järvi, Valery Gergiev, Oleg Caetani. Cette génération médiatique portée par le succès du disque compact contribua à imposer le compositeur au répertoire international pour en faire un étalon des salles de concert ! Enfin, on peut déterminer une troisième génération, née dans les années 1970, qui grandit avec la fin du monde soviétique  : Vassily Petrenko, Alexander Sladkovsky, Vladimir Jurowski, Andris Nelsons, Michael Sanderling, Paavo Järvi, Kirill Petrenko et Mark Wigglesworth. Au fil de ces générations, Chostakovitch est devenu une star des programmations et comme Mahler, il est devenu un étalon des phalanges mondiales pour lesquelles enregistrer Chostakovitch est un acte d’affirmation alors que pas une saison symphonique ne s'écoule sans une pléthore de symphonies au programme ! 

Mais revenons à cette somme britannico-néerlandaise ! Comme nous l'écrivions plus tôt, Mark Wigglesworth défend une vision qui semble évacuer toute référence au contexte historique pour se concentrer sur le geste compositionnel pur. Un Chostakovitch instrumental avait déjà été tenté, avec plus ou moins de bonheur, par des chefs comme Sir Georg Solti, Charles Dutoit ou Eliahu Inbal, mais Mark Wigglesworth propose une vision cohérente qui bénéficie d’une prise de son magistrale qui fait briller les pupitres des orchestres. De plus, l’écoute en intégrale rend justice à la force de la vision et à la rigueur de cette direction. Bien évidemment, les puristes vont détester car, loin d’un drame orchestral, tout est ici logique, contraste des pupitres et équilibres. Certains climax sont foncièrement impressionnants dans les symphonies n°4, n°7, n°8, n°10 ou n°11. Chostakovitch est ici un virtuose de l’orchestre plus qu’un conteur de son temps et de l’Histoire. Il y a naturellement un côté un peu distancé que certains pourraient considérer comme une neutralité et un manque d’engagement. Rien n’est plus faux car cette mise en avant de la force visionnaire du compositeur renforce la narration et les développements thématiques, même si c’est plus intellectuel que brassé. C’est un Chostakovitch du cerveau plus que des tripes ! L’épique symphonie n°5 est ici décantée et presque capiteuse par le travail sur les timbres et les flux instrumentaux.  Le clair-obscur est le maître mot des symphonies n°6, n°12, n°13 et n°14 alors que la rigueur instrumentale cisèle les symphonies n°1, n°2, n°3 et n°15. 

Dans une discographie pléthorique tant quantitativement que qualitativement, cette intégrale séduit et elle est à recommander chaleureusement. La cohérence de la vision est constante et il n’y a pas de points faibles. Les lectures des symphonies n°4, n°7, n°8 et n°11 sont même des références absolues dans ces œuvres ! 

Superbement enregistrée par une prise de son de démonstration comme le label Bis sait en faire, elle peut trôner au sommet de la discographie. Avec l’intégrale de Vassily Petrenko à Liverpool (Naxos), elle est même la plus belle somme récente dans ces partitions ! Ce n’est pas rien ! 

Son : 10 – Livret : 10 – Répertoire : 10 – Interprétation : 10

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