Retour de la Mireille de Gounod, gorgée de soleil à l’Opéra de Paris en 2009

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Charles Gounod (1818-1893) : Mireille, opéra en cinq actes et sept tableaux. Inva Mula (Mireille), Charles Castronovo (Vincent), Franck Ferrari (Ourrias), Alain Vernhes (Maître Ramon), Sylvie Brunet (Taven), Anne-Catherine Gillet (Vincenette), Sébastien Droy (Andreloun), Nicolas Cavallier (Maître Ambroise), Amel-Brahim Djelloul (Clémence), Ugo Rabec (Le Passeur). Chœur et Orchestre de l’Opéra National de Paris, direction Marc Minkowski. 2009. Notice en anglais et en français. Pas de texte du livret, mais synopsis. Sous-titres en français, anglais, allemand, japonais et coréen. 151.00. Un double DVD Naxos 2. 110683-84. Disponible aussi en Blu Ray.

Après la réédition de la Carmen de 2009 à l’Opéra-Comique avec une fabuleuse Anna-Caterina Antonacci, que nous avons présentée dans ces colonnes le 2 juin dernier, en voici une autre chez Naxos : Mireille de Gounod au Palais Garnier, toujours en 2009 et publiée alors dans la même foulée par Fra Musica, dans une mise en scène de Nicolas Joël dont c’était la prise de fonction comme directeur de l’Opéra National de Paris. Mêmes remarques que pour Carmen : présentation moins luxueuse et iconographie moins fournie, disparition de l’intéressant bonus où l’on pouvait notamment écouter Marc Minkowski évoquer un séjour dans le Midi, mais disponibilité en Blu Ray. Ces deux rééditions signifient-elles que d’autres productions de Fra Musica vont reparaître chez Naxos ? On ne s’en plaindrait pas car le retour de Lully (Armide et Atys), de Reynaldo Hahn (Ciboulette) et de quelques autres, dont des ballets, serait un plaisir.

Cette réédition est aussi un hommage explicite à Nicolas Joel, disparu en 2020 à l’âge de 67 ans, et au baryton Franck Ferrari (1963-2015) qui tenait dans cette Mireille le rôle d’Ourrias. Après un mandat au Théâtre du Capitole de Toulouse, Nicolas Joel avait succédé à Gérard Mortier en 2009 pour un mandat parisien de cinq ans. Si le bonus a disparu de la réédition de Naxos, le message inséré dans le livret de Fra Musica par le directeur/metteur en scène a été heureusement reproduit. Nicolas Joel y explique que pour sa prise de fonction, il a décidé d’inscrire Mireille pour la première fois à l’affiche du Palais Garnier : Pour moi, écrivait-il, Gounod est le plus grand musicien français du XIXe siècle, en rien inférieur à Berlioz. Et Mireille est sans doute son chef-d’œuvre, un opéra d’une simplicité et d’une délicatesse ineffables, qui fait passer les codes de l’opéra au second plan et laisse s’épanouir l’émotion. Oui, Gounod fut le musicien de l’émotion, de l’émotion la plus noble, et il le revendiquait. Dans le même message, Nicolas Joel faisait aussi l’éloge du poète Frédéric Mistral ainsi que de l’équipe qui l’a entouré dans cette aventure, avec une mention particulière pour Marc Minkowski.

Il faut bien reconnaître que la mise en scène « au premier degré » de Nicolas Joel, discutée et diversement appréciée en son temps pour son approche des plus classiques, avec des décors d’Ezio Frigerio dans le même esprit (le climat est souvent proche du cinéma), est admirablement servie par Minkowski qui galvanise l’orchestre avec une vivacité de chaque instant, un dynamisme clair, de la précision, un lyrisme permanent et des détails instrumentaux, notamment dans le travail des bois, qui relèvent presque de l’art pictural. Tout est charme et légèreté, sans la moindre lourdeur, et les timbres sont chaleureux. On adhère tout à fait à une telle conception orchestrale qui place à elle seule ce spectacle à un haut niveau. D’autant plus que sur le plan vidéographique, il n’y a pas de concurrence. On ne trouvait en effet jusqu’en 2010 qu’une version abrégée en noir et blanc de Mireille datant du milieu des années 1950, avec Pierrette Alarie et Léopold Simoneau, couplée avec l’Acte II de Pelléas et Mélisande de Debussy avec Suzanne Danco et Jean-Paul Jeannotte (Radio Canada, direction Jean Beaudet, chez VAI, en 2006). L’événement contemporain est donc de taille.

Premier degré ou pas, il faut s’incliner face à un spectacle qui fonctionne très bien sur le plan visuel. Laissant de côté toute option moderniste, la nature reproduite à l’état brut et la lumineuse Provence de Mistral et de sa Mirèio (qui dans le dialecte local, a aussi le sens de « merveille », donné par son doublet meraviho), brillent de mille feux. Par contre, le livret de Michel Carré (1821-1872), collaborateur avec Jules Barbier pour plusieurs opéras de Gounod mais aussi pour Meyerbeer ou Ambroise Thomas, est moins flamboyant que l’original littéraire paru en 1859 (Mistral sera couronné d’un Prix Nobel de littérature en 1904). Petit récapitulatif sommaire de l’intrigue : Mireille et le vannier Vincent, qui est pauvre, sont amoureux l’un de l’autre, mais la jeune femme est convoitée par le riche bouvier Ourrias. Les deux prétendants se sont fait la promesse que si un malheur survenait à l’un ou à l’autre, le survivant ferait un pèlerinage aux Saintes-Maries. Au Val d’Enfer, Ourrias, dépité, provoque Vincent et le frappe avec son trident ; il croit l’avoir tué. Mais Taven, gitane aux pouvoirs de sorcière, l’a vu, le maudit et recueille Vincent. Rongé par le remords, Ourrias veut traverser le Rhône avec un passeur ; assailli par des fantômes, il se noie dans une tempête. Apprenant la blessure de Vincent, Mireille veut tenir sa promesse : elle se rend aux Saintes-Maries à travers le terrible désert de la Crau. Elle arrivera devant le Calvaire pour mourir dans les bras de Vincent et sera appelée au ciel par une voix céleste.

La création a lieu le 19 mars 1864 au Théâtre-Lyrique. Gounod effectuera ensuite des modifications mais Henri Büsser reviendra à la source en 1939 sous l’impulsion de Reynaldo Hahn. C’est cette révision qui est suivie ici. Sur ce schéma mélodramatique situé entre Faust (1859) et Roméo et Juliette (1867), Gounod a écrit une musique qui apparaît bien plus inspirée que le scénario de Michel Carré, avec des personnages bien typés, des expressions de tendresse, des chœurs de qualité, une gracieuse évocation de la nature et un lyrisme chaleureux. Des commentateurs ont eu tendance à décrier une certaine naïveté du propos, y compris celle de la composante religieuse -ce qui semble a contrario en être l’une des forces-, mais les tableaux orchestrés avec finesse, la couleur locale bien comprise et quelques airs bien tournés font le prix d’un opéra séduisant, qui se regarde avec un vif plaisir. 

Si la direction de Minkowski est exemplaire, le plateau vocal procure de vraies joies. En particulier la soprano albanaise Inva Mula (°1963) qui, rappelons-le, a été choriste à l’Opéra de Paris avant de se lancer dans une carrière internationale au cours de laquelle elle a chanté avec succès aussi bien Verdi que Massenet, Lalo, ou la Marguerite du Faust de Gounod. Bénéficiant d’une technique et d’une voix assurées, Inva Mula est une Mireille belle et émouvante, aux malheurs de laquelle on participe avec compassion. A l’acte II, dans la scène des arènes d’Arles, son air « La brise est douce et parfumée » (la Chanson de Magali) est évocateur à souhait, de même que l’affirmation de son amour. Le redoutable tableau de l’Acte IV où elle est confrontée à l’étendue aride du désert de la Crau lui permet de signer une performance : « Voici la vaste plaine et le désert de feu » est épuisant pour la voix de l’héroïne. Parfois le chant, dans cet air long et difficile, montre des velléités de limite, mais la présence d’Inva Mula est forte et emporte l’adhésion. La mort de Mireille aux Saintes-Maries est très poignante, puis marquée par la lumière de l’accès au ciel.

Face à elle, le Vincent du ténor américain Charles Castronovo (°1975) est idéal, avec des aigus soignés, délicats et chaleureux, moins émouvants peut-être, mais on ne peut s’empêcher de saluer l’excellence de sa diction française. Le rôle d’Ourrias est l’apanage de Franck Ferrari, disparu trop tôt en 2015. Au moment de la présente production, ce baryton originaire de Nice, qui fut un excellent Escamillo de Bizet, avait 46 ans. Il est un convaincant « méchant », avec la puissance vocale nécessaire. Il a parfois un peu tendance à surjouer, mais les excès sont dans le personnage. On trouve encore dans la distribution Sylvie Brunet en Taven, sorte de gitane un peu sorcière au timbre rauque tout à fait en situation, et Anne-Catherine Gillet qui est Vincenette, la sœur de Vincent ; c’est elle qui vient annoncer à Mireille ce qui est arrivé à son frère lors de la rixe avec Ourrias. Comme toujours, elle est impeccable de justesse. Le reste du plateau est sans reproches, en particulier Alain Vernhes et Nicolas Cavallier en Maître Ramon et Maître Ambroise, pères respectifs de Mireille et de Vincent. On ne peut passer sous silence Sébastien Droy en doux berger Andréloun qui fait de son air « Le jour se lève » de l’Acte IV un moment poétique.

Tout cela donne un spectacle haut en couleurs, filmé excellemment par André Roussillon au cours des soirées des 11, 12 et 14 septembre 2009, avec des gros plans réussis et des espaces captés avec soin. Les costumes de Franca Squarciapino, classiques eux aussi et de bon goût, sont tout à fait dans l’esprit. Les mouvements de foule sont bien contrôlés et les chœurs, qu’il s’agisse des jeunes filles arlésiennes de l’Acte I, de la farandole de l’Acte II, du chant des moissonneurs ou de l’hymne à la Chapelle des Saintes-Maries, savent se faire apprécier. Nous gardons le souvenir de ce spectacle, transmis à l’époque sur France 3 avec un léger décalage, à une heure de grande audience ; il passait très bien à la télévision. Le DVD magnifie les décors ensoleillés avec les blés (superbe image) qui envahissent le plateau pour symboliser la cueillette des mûriers à l’Acte I. La scène des remords d’Ourrias sur fond de crépuscule funeste à l’Acte III est impressionnante. Le cruel désert de la Crau est rendu dans une atmosphère torride, un seul rideau blanc suffit à le symboliser. Quant au Calvaire final, il s’inscrit dans la dimension spirituelle recherchée. 

Dans l’excellente biographie qu’il a consacrée à Gounod (Paris, Fayard, 2009), Gérard Condé consacre une petite vingtaine de pages éclairantes à Mireille. Il rappelle (p. 404) que le compositeur alla rejoindre Mistral en Provence pour découvrir la Provence et la visiter avec lui : Gounod fut sans doute le premier compositeur d’opéra à éprouver le besoin de se rendre dans le lieu même où s’est déroulé le drame qu’il entreprenait de mettre en musique, à l’instar des peintres qui, à cette époque commençaient à planter leur chevalet en plain air. La mise en scène de Nicolas Joel, éminemment picturale, met le spectateur sur les pas des deux artistes ; c’est un peu comme si ces derniers nous proposaient de cheminer avec eux. La conclusion coule de source : c’est une vraie réussite esthétique. De quoi être convaincu, si nécessaire, qu’un réalisme assumé peut encore atteindre son but aujourd’hui : servir le théâtre, le chant et la musique dans un même élan généreux. 

Note globale : 9

Jean Lacroix       

 

  

 

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