Nouveau jalon dans la discographie d’Edith Canat de Chizy 

par

Edith Canat de CHIZY (née en 1950): TranceDanceSeascape Tlaloc. Florent Jodelet, percussion; Alexandra Greffin-Klein, violon; Maude Gratton, clavecin; Cyril Dupuy, cymbalum. Orchestre de Caen, dir. Vahan Mardirossian.2020-CD:49'25"-Textes de présentation en français et anglais-Merci Pour Les Sons-MPLS 18001

Edith Canat de Chizy fêtera, le 26 mars prochain, son 70e printemps. Elle a beau cultiver la discrétion aussi bien que l’indépendance, on ne compte plus les distinctions qui lui ont été remises : récipiendaire du Prix UNESCO de la Tribune Internationale des Compositeurs en 1990, du Prix Paul-Louis Weiller de l’Académie des Beaux-Arts en 1992, du Prix Jeune Talent Musique de la SACD en 1998 et de plusieurs prix de la SACEM dont le Grand Prix de la Musique Symphonique en 2004, elle a été élevée au rang de Chevalier de l’Ordre des Arts et Lettres en 1994, Chevalier de l’Ordre National du Mérite en 2003, Chevalier de la Légion d’Honneur en 2008, Officier de l’Ordre du Mérite en 2012 et Commandeur des Arts et Lettres en 2017. Elue à l’Académie des Beaux-Arts en 2005, dont elle a assumé la présidence en 2007, Edith Canat de Chizy est la première femme compositeur membre de l’Institut de France. En 2016, elle a reçu le Grand Prix du Président de la République de l’Académie Charles Cros pour l’ensemble de son œuvre.

Celle qui fit ses classes auprès d’Ivo Malec et de Maurice Ohana a toujours témoigné d’une sorte d’amour filial envers ce dernier, auquel elle a d’ailleurs consacré, avec François Porcile, une monographie chez Fayard. Ohana le lui a bien rendu, qui disait de son élève : "elle n’a d’autre ambition dans sa musique que de faire aimer cette magie des sons qui raconte l’histoire du monde telle que Debussy la rêvait". On ne s’étonnera donc pas de retrouver dans les partitions de la compositrice française la même affection pour les œuvres de "Claude de France" que celle qu’éprouvait pour elles Ohana lui-même. Que la musique d’Edith Canat de Chizy soit volontiers modale lorsqu’elle ne joue pas la carte de l’atonalité suffirait sans doute déjà à nous mettre sur la piste de l’auteur du Prélude à l’après-midi d’un faune et de Jeux ; mais c’est surtout au travers des couleurs pastel -émaillées, il est vrai, de traits de fusain- que se dessine, dans ses œuvres, la figure tutélaire de Debussy. Son langage n’en est pas moins éminemment personnel, ses pièces symphoniques révélant toujours un sens aigu du timbre. Ses œuvres instrumentales sont, en outre, marquées au fer des techniques électroacoustiques que lui a enseignées Guy Reibel. Quant à Maurice Ohana, on ressent partout sa présence réservée, en filigrane, dans l’œuvre de la compositrice française. Les exégètes ne sont pas peu nombreux à prêter une contenance rituelle à la musique d’Edith Canat de Chizy, comme à celle de son aîné. Elle est, de fait, empreinte d’un épais mystère, dont l’adjectif "onirique" ne parviendrait pas à traduire les multiples dimensions. Edith Canat de Chizy partage encore avec son ancien maître un attrait pour la percussion, le clavecin et le cymbalum -auquel Ohana préférait la cithare : que l’on pense, par exemple, à Silenciaire, aux Chiffres de clavecin ou au Tombeau de Debussy du compositeur natif de Casablanca.

Un fil rouge parcourt toutes les œuvres figurant sur ce disque : la percussion se taille une place de choix dans chacune d’elles. 

Dans Trance (2009), pour percussion et clavecin, Edith Canat de Chizy joue avec l’ambivalence du clavecin dont elle exploite les propriétés percussives autant que les vertus mélodiques et les résonnances, comme l’ont fait avant elle les divers compositeurs ayant réhabilité l’instrument au cours des sept dernières décennies.

Dance (2006), pour violon et vibraphone, est un hommage au sculpteur Antoine Bourdelle et à l’un des bas-reliefs dont il est l’auteur, qui coiffe l’une des portes du Théâtre des Champs-Elysées à Paris et qui met en scène la danseuse américaine Isadora Duncan et le danseur et chorégraphe russe Vaslav Nijinski. Edith Canat de Chizy met ici à profit sa formation de violoniste, en se gardant soigneusement d’accoucher d’une musique figurative pour ballerine et danseur-étoile. Ne sont-ce pas plutôt les ombres vacillantes des deux danseurs figés dans la pierre que cherche à évoquer la compositrice dans cette œuvre sans pas de danse ?

François-Bernard Mâche voit, à juste titre, dans Seascape (2015-2016), pour orchestre et percussion, l’œuvre de ce programme qui évoque le plus étroitement Debussy ou Ohana, tout en accusant une familiarité avec l’univers électroacoustique. Dans cette véritable étude de timbres, la compositrice s’emploie à varier à l’envi les modes de jeu, favorisant ainsi l’émergence d’un monde d’harmoniques fantasmé, Atlantide désertée par les flots : usage de tiges métalliques sur les cordes du piano, instruments à cordes jouant col legno, blocage des cordes,… L’enregistrement présenté sur ce disque n’est autre que celui de la création mondiale de l’œuvre, qui eut lieu le 16 mars 2016 à l’Auditorium Jean-Pierre Dautel, à Caen.

Clôturant le CD, mais composé bien avant les œuvres précédentes, Tlaloc (1984), enfin, est l’une des œuvres majeures d’Edith Canat de Chizy. Pièce soliste pour la percussion, elle recourt toutefois à un instrumentarium relativement étoffé : crotales, bell tree, triangles, cymbale chinoise, cymbale cloutée, cloches de vache, vibraphone, gongs, tam-tams, toms, bongos, tumbas et temple-blocks. Divinité aztèque de la pluie et de l’orage, Tlaloc semble ici vouloir contenir ses larmes et sa fureur, qui ne s’insinuent dans l’œuvre que comme d’insidieux présages -sinistres pour les uns, fertiles pour les autres.

Ces quatre partitions de haut vol peuvent ici compter sur un ensemble de musiciens admirables, au premier rang desquels s’inscrit le dédicataire de Seascape ; soliste de l’Orchestre National de France et musicien attitré de l’ensemble TM+, Florent Jodelet est, à n’en point douter, l’un des grands percussionnistes de sa génération. Il confirme en l’occurrence le statut et la stature qui sont les siens, faisant preuve d’un investissement sans retenue dans les œuvres que voici. Soliste et chambriste confirmée, ancienne pensionnaire du Royal College of Music de Londres et de la Hochschule für Musik de Bâle, Alexandra Greffin-Klein, qui s’est, elle aussi, fait un nom en défendant avec enthousiasme et conviction le répertoire contemporain, l’entraîne dans la Dance avec une grande efficacité. Au clavecin, Maude Gratton, acolyte de Bruno Cocset, Damien Guillon, Pierre Hantaï et Philippe Pierlot et invitée régulière du Collegium Vocale de Gand, a eu plus d’une occasion de se familiariser avec le jeu de Jodelet avec qui elle collabore fréquemment. Elle fait preuve de la même opiniâtreté que celle qu’on aurait attendue, dans ce répertoire, d’une Wanda Landowska. Le cymbalum de Cyril Dupuy, qui a déjà apporté son concours à tant d’autres œuvres modernes et contemporaines (d’Henri Dutilleux, Gilbert Amy et György Kurtag, notamment), apporte une touche additionnelle d’enchantement au tableau. L’Orchestre de Caen complète ce dernier. Dirigé de main de maître par Vahan Mardirossian -son chef principal invité depuis 2010, par ailleurs pianiste de renom et directeur musical de l’Orchestre National de Chambre d’Arménie-, il vibre comme un seul être dans les paysages énigmatiques esquissés par Edith Canat de Chizy. 

Son 10 – Livret 8 – Répertoire 9 – Interprétation 10

 

 

 

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