Abbado, portrait viennois 

par

Claudio Abbado&Wiener Philharmoniker. The Complete Deutsche Grammophon Recordings. 1966-1996. Livret en anglais et allemand. 1 coffret de 58 CD DGG 00289 483 7784. 

Venant après des précédents coffrets DGG consacrés aux enregistrements berlinois ou aux sommes lyriques du grand Claudio Abbado, DGG offre légitimement un coffret dédié à ses gravures de Claudio Abbado au pupitre de l’Orchestre Philharmonique de Vienne et de l’Orchestre de l’Opéra de Vienne. Il faut dire que la relation entre le chef italien et les Viennois fut aussi longue que fructueuse. Quasi recordman des concerts d’abonnement au pupitre des Wiener Philharmoniker, le musicien avait fait ses débuts à leur tête en 1965 dans une phénoménale Symphonie n°2 de Mahler au Festival de Salzbourg. Constamment invité, cette relation avait culminé lors du mandat d’Abbado à la direction du Staatsoper de Vienne entre 1986 et 1991. Outre ses prestations dans la fosse, Abbado fut alors invité à diriger à deux reprises le traditionnel concert du Nouvel an, en 1988 et 1991. 

Le présent coffret est éditorialement des plus complets car il reprend la totalité des gravures du chef entre 1966 et 1996, que ce soit pour DECCA comme les Symphonies n°7 et n°8 de Beethoven et la Symphonie n°1 de Bruckner, enregistrées à la fin des années 1960, ou l’intégrale des gravures DGG y compris le “live” inédit des Symphonies n°5 et n°8 de Franz Schubert publié en 2018. 

L’intérêt de ce coffret est de présenter le coeur du répertoire du chef, le répertoire romantique austro-allemand. Il faut placer aux sommets de ces enregistrements ceux dédiés au triptyque de la modernité : Schoenberg (Gurre-lieder, A Survivor from Warsaw), Alban Berg et Anton Webern. On admire ici la narration de la baguette d’Abbado qui galvanise les sonorités soyeuses des Viennois. Loin d’une radicalité boulezienne ou du postromantisme grassouillet d’un Zubin Mehta, Abbado humanise cette musique par sa pointe dramaturgique : les Trois pièces de Berg ou les Six pièces de Webern connaissent ici un accomplissement unique. Mahler accompagna le chef tout au long de carrière et on retrouve ici les Symphonies n°2, n°3, n°4 et n°9 ainsi que l’adagio de la symphonie n°10. La Symphonie n°3 est l’une des plus grandes réussites dans cette oeuvre, la pugnacité narrative de la direction alliée aux splendeurs des timbres viennois façonnent une lecture d’anthologie. Les autres gravures mahlériennes, quoique fort bonnes, n’atteignent pas ce sommet.  

Si Mahler était le coeur du réacteur d’Abbado, on ne peut en dire autant de Bruckner que le maestro fréquenta avec une relative parcimonie. Pourtant ces gravures viennoises sont de très belles réussites esthétiques, surtout les deux gravures de la Symphonie n°1 (Decca-1969 et DGG-1996). Etrangement, Abbado est sans doute le champion absolu de cette oeuvre un peu hybride avec des zestes de Brahms et de Schubert. Le plastique de l’orchestre est l’atout de ces lectures dirigées avec plus de respect que de folie, mais cette stylisation sans raideur sied bien à ce concept interprétatif plus instrumental que métaphysique. Dans la Symphonie n°9, Abbado est son propre concurrent par sa gravure testamentaire au pupitre de l’Orchestre du Festival de Lucerne (Accentus).   

Abbado était un explorateur, compagnon de route des avant-gardes ! Ainsi, il fonda en 1988 le festival Wien Modern dédié à la défense des modernités. Enregistré en concert en 1988, l’album Wien Modern offre l’inattendu Philharmonique de Vienne dans Wolfgang Rihm, György Ligeti et Pierre Boulez. 

Beethoven, Brahms, Mozart et Schubert sont également présents dans ce beau coffret. De Beethoven, il faut retenir la première intégrale des symphonies du chef, qui alterne de beaux moments et des passages un peu à vide. Loin de l’acuité de sa seconde intégrale avec Berlin, le maestro cultive ici une lecture classique et mesurée, magnifiée par la prise de son qui fait un sort aux timbres de l’orchestre. De Brahms, il faut saluer l’intégrale des Danses hongroises, référence absolue, et le Concerto pour piano n°2 avec son compère Maurizio Pollini. Abbado est essentiellement accompagnateur dans Mozart avec une sélection de concertos pour piano où le chef seconde l’imprévisible Friedrich Gulda et la grande Maria João Pires. L’assez rare Missa Solemnis en Ut mineur clôt ce parcours mozartien avec ferveur. Deux albums sont consacrés à Schubert avec la superbe gravure de la Messe n°6 et surtout les Symphonie n°5 et n°8 gravées en concert en 1971, éditées fin 2018 et primées d’un Joker de Crescendo. 

Les deux concerts du Nouvel An sont passionnants ! Déjà le chef sort des sentiers battus et offres quelques valses et polkas moins rabachées tout en visitant les rares Emil Nikolaus von Reznicek ou Joseph Lanner. De plus, le travail d’Abbado est passionnant par la souplesse de la masse orchestrale et la beauté des couleurs. Loin de l’option gorgée de calories de Sachertorte de ces dernières années, Abbado fait virevolter et chalouper ces musiques souvent galvaudées. Certes, cela ne vaut pas l’indépassable Kleiber mais ces deux concerts sont enthousiasmants et présentent Abbado comme l’un des meilleurs serviteurs de ces valses et polkas. 

Abbado était un explorateur, compagnon de route des avant-gardes ! Ainsi, il fonda en 1988 le festival Wien Modern dédié à la défense des modernités. Enregistré en concert en 1988, l’album Wien Modern offre l’inattendu Philharmonique de Vienne dans Wolfgang Rihm, György Ligeti et Pierre Boulez. Un album collector en soi ! 

Du côté de l’opéra, on thésaurise le Wozzeck de Berg, la Khovanschchina de Moussorgsky, le Lohengrin de Wagner (le seul enregistrement wagnérien complet du chef), plus que des Noces de Figaro, certes très élégantes mais pas foncièrement indispensables.  

Ce coffret qui comporte énormément de hauts et jamais de bas, est une pierre angulaire de la discographie. Les amoureux d’orchestre se régaleront des timbres si caractéristiques de la phalange autrichienne, surtout qu’elle est documentée sur un longue période, ce qui permet de constater son évolution en termes de sonorités. 

Son 10 - Livret 6 - Répertoire 10 - Interprétation 10

Pierre-Jean Tribot 

 

          

 

      

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