Thomas Søndergård : un Prokofiev décevant

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Serge PROKOFIEV (1891-1953) : Symphonies n° 1 « Classique », op. 25 et n° 5 op. 100. Royal Scottish National Orchestra, direction : Thomas Søndergård 2020. Livret en anglais. 56.28. Linn CKD 611.

A la tête du Royal Scottish National Orchestra, son chef principal signe un deuxième CD après un programme contenant Ein Heldenleben et une suite du Rosenkavalier de Richard Strauss, bien accueilli par la critique. Né en 1969, le Danois Sondergard, qui a étudié la percussion et les timbales, a entamé sa carrière au Royal Danish Orchestra avant de se consacrer à la direction d’orchestre à l’âge de 27 ans. On l’a retrouvé à l’Orchestre de la Radio norvégienne, avant le BBC National of Wales. Dès 2009, il se produisait avec le Royal Scottish National Orchestra dont il est devenu le directeur musical depuis la saison 2018-2019. Sa discographie au fil du temps comprend des enregistrements pour les labels Dacapo, Pentatone ou Linn et fait la part belle à Sibelius (symphonies et poèmes symphoniques), mais aussi à Lutoslawski, Dutilleux ou Ruders. Avec la violoniste Vilde Frang, il a signé un CD où sont couplés le Concerto et les Humoresques de Sibelius avec le Concerto n° 1 de Prokofiev, avec le WDR Sinfonieorchestrer de Köln. Retour à Prokofiev avec deux symphonies et avec son orchestre.

Créée à Petrograd en 1918 sous la direction du compositeur, la Symphonie n° 1 « Classique » est destinée à un orchestre de l’époque de Haydn et de Mozart : flûtes, hautbois, clarinettes, bassons, trompettes, cors par deux, timbales et cordes. Cette partition légère, enjouée, fraîche et de courte durée (moins de quinze minutes) n’est pas un pastiche, mais plutôt un hommage rendu par Prokofiev aux classiques, dont il appréciait le style et la forme. Partition vouée à la clarté et à la transparence, elle se révèle dynamique et même exubérante. Sondergard et sa phalange écossaise en donnent une version un peu passe-partout que l’on écoute certes avec plaisir, mais sans exaltation. Les musiciens veulent jouer la carte de la poésie, mais il manque une dynamique que d’autres versions nous ont fait partager. 

La Symphonie n° 5 a connu sa première audition en janvier 1945, à Moscou, toujours sous la direction de Prokofiev. A cette époque, les Soviétiques remportent des combats contre les nazis et l’œuvre apparaît comme triomphante. L’effectif orchestral qui reprend les bois par trois, quatre cors, trois trompettes, trois trombones, un tuba, la harpe, le piano, les cordes et une abondante percussion, est idéal pour donner à la partition un souffle épique que n’ont pas manqué de lui conférer maintes versions russes, dont celles de Mrawinski, un live incandescent, ou de Temirkanov, imposant, ou occidentales, comme Szell, grandiose, Bernstein, débridé, ou un Karajan engagé, qui a signé là un de ses meilleurs disques. Dans les versions plus récentes, Jansons ou Gergiev nous ont comblé. La vision de Sondergard n’est pas à ce niveau. Les tempi choisis ont quelque peu tendance à engluer le discours, lui enlevant les couleurs de l’Andante initial, l’élémentaire pulsation qui anime l’Allegro marcato et la nostalgie de l’Adagio, tout en soulignant des effets cuivrés assez métalliques que la prise de son n’avantage pas. Tout cela nous laisse insatisfait, et l’ennui guette car le grand geste ample tarde. On attend l’Allegro giocoso final dans l’espoir que la tension et l’intensité vont enfin trouver leur place dans cette interprétation platonique. Hélas, la fête n’est pas au rendez-vous ! La bride n’est pas lâchée et la frénésie populaire qui devrait s’installer peu à peu est absente. Les instrumentistes ne sont pas en cause, car les pupitres révèlent maints moments de qualité, aussi bien parmi les bois que les vents. Mais c’est la conception même du chef, trop corsetée, que nous ne partageons pas. La solennité que l’on désire et la sauvagerie que l’on espère restent en rade, et ce n’est pas la coda, aux cris dépourvus de nerfs, qui rachète l’ensemble. Une vraie déception.  

Son : 8.  Livret : 8   Répertoire : 10. Interprétation : 6 

Jean Lacroix

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