Philippe Chamouard, compositeur

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Le compositeur Philippe Chamouard est à l’honneur d’un album Indésens Calliope Records qui propose 3 de ses concertos. A l’occasion de cette parution stimulante portée par des interprètes d’exception, Crescendo a souhaité s’entretenir avec le compositeur. 

En ces temps de déconstructions multiples, votre œuvre comporte force figures classiques comme des symphonies et des concertos. Qu’est-ce qui vous attire vers ces formes musicales ?

Il paraît dépassé d’utiliser encore de nos jours les formes musicales classiques. Pendant plusieurs siècles, elles ont fait la preuve de leur solidité et de leur équilibre. Pourquoi s’en passer de nos jours ? La variation est toujours présente chez les compositeurs alors qu’elle apparaît en tant que forme au XVIe siècle. Bien qu’on puisse utiliser des structures plus libres comme je le fais souvent plutôt dans des partitions courtes, c’est cet équilibre formel qui me permet de construire une partition symphonique.

En ce qui concerne les concertos, cet album en propose 3 : pour violon, basson et trompette. Soit 3 instruments très différents de timbres et de tessitures. Vous avez également composé un concerto pour harpe celtique Qu’est-ce qui vous a séduit dans ces instruments au point d’en composer des concertos?

Concernant la forme du concerto, le sujet est différent. D’abord, excepté celui pour basson qui a été conçu comme tel avec trois mouvements, les autres partitions ne sont pas réellement des concertos. Ce sont plutôt des œuvres concertantes ou avec instrument principal et orchestre. En réalité, chacun de mes « concertos » possède sa propre personnalité qui ne répond pas forcément aux critères de la forme. J’ai écrit le Concerto pour violon qui est en fait un concertino en un seul mouvement car j’ai toujours été attiré par les instruments à cordes. C’est la raison pour laquelle j’ai composé un « concerto » pour violoncelle dont l’intitulé Entre source et nuages à plus de valeur. D’ailleurs, c’est l’éditeur qui l’a classé dans le genre concerto. Le Concerto nocturne pour trompette et orchestre n’est pas non plus un concerto au sens usuel du terme bien que ce soit Maurice André qui m’ait demandé d’en écrire un pour son instrument. J’ai voulu faire résonner une trompette non pas brillante et virtuose comme elle est souvent montrée mais poétique, encline au charme et à la méditation ; ses timbres se fondant avec les autres pupitres de l’orchestre.  Il y a peu de pièces orchestrales concertantes avec la harpe celtique et le basson. Je trouvais utile de leur consacrer au moins une partition.

Le violon est un instrument fort gâté par le répertoire. La trompette beaucoup moins et le basson encore moins ! Est-ce qu’il est difficile de composer un concerto pour cet instrument ? Quels sont les enjeux de la composition d’un concerto pour basson ?

J’ai souhaité écrire un concerto pour basson car cet instrument possède des qualités sonores vraiment diversifiées. Ses trois registres ont des facettes et des caractères très différents. Le basson peut être, entre autres, enjoué, poétique, lugubre, moqueur, émouvant, présent ou discret. Les basses sont superbes. C’est l’instrument qui a une gamme de timbres les plus variées des instruments à vent. Bref, il est, pour ma part, très attachant. J’espère que les bassonistes trouveront ma démarche utile !

Vous avez beaucoup travaillé sur l'œuvre de Mahler. Est-ce que ce travail vous sert ou vous influence dans votre pratique de la composition ?

Mes différents travaux sur l’œuvre de Mahler m’ont accaparé pendant plusieurs années. Son emprise a été telle que j’ai éprouvé une certaine difficulté à m’en dégager d’autant plus que je trouvais mes partitions trop académiques. J ’ai par conséquent fait le choix radical de toutes les détruire en 1987. Cette destruction graphique qui choque souvent autour de moi, était nécessaire car elle m’a permis de concevoir un nouveau départ. Je considère ains Sphène pour orchestre (1988) comme mon opus 1. Il y a quand même à la fin de la partition un clin d’œil à l’adagietto de la Symphonie n°5 de Mahler !

Un jeune compositeur ou une jeune compositrice qui voudrait écrire des concertos. Quels seraient vos conseils ?

A moins de vouloir combler un déficit dans le répertoire d’un instrument en particulier comme le basson, écrire un concerto de nos jours demande, à mon avis, des qualités d’inspiration vraiment personnelles. En raison des nombreux et magnifiques concertos déjà existants, chaque nouvelle partition doit avoir son originalité et sa raison d’être. Avant d’écrire un concerto, on doit se poser les questions suivantes : Est-ce qu’une nouvelle partition apporte un plus au répertoire de l’instrument ? Si oui, est-ce encore nécessaire d’employer la virtuosité à tout prix ? N’est-il pas plus souhaitable d’offrir au public une expressivité musicale en quête d’une intériorité personnelle ? Nous qui vivons actuellement et dans le futur probablement dans un monde instable voire inquiétant où la paix et l’environnement sont fragiles, la musique doit avoir un rôle bienfaiteur et apaisant. Tâche bien difficile car l’art est souvent le reflet de son époque.

Un disque est souvent le fruit de multiples rencontres. Comment s’est construit ce disque qui propose 3 de vos concertos pour le label Indésens Calliope Records ?

Après des albums consacrés à plusieurs de mes symphonies et à la musique de chambre, Benoît d’Hau, directeur du label Indesens Calliope Records, m’a proposé de publier un disque de concertos. Pour les raisons évoquées plus haut, j’étais assez réticent. Les auditeurs s’attendraient à de véritables concertos. Or, ce n’est pas le cas, excepté comme je l’ai dit,  pour le Concerto pour basson. J’ai néanmoins fini par me laisser convaincre. Comme j’écris, sauf exception, selon mon inspiration que je veux libre, je contacte le soliste après la composition. Ce fut le cas pour les concertos pour violon et basson. J’ai eu la chance de rencontrer Svetlin Roussev, merveilleux violoniste, grâce à Jean-Jacques Kantorow avec qui je voulais collaborer. Quant au Concerto nocturne pour trompette, bien que déjà joué en France et à l’étranger, il n’avait pas encore été enregistré. C’était rendre un hommage, bien que tardif, à Maurice André à l’origine de la composition. J’avais adressé il y a plusieurs années la partition à Eric Aubier qui l’apprécia d’emblée. C’est donc naturellement qu’il en assura le premier enregistrement. Enfin, c’est Benoit d’Hau qui m’a présenté Giorgio Mandolesi dont la personnalité et le talent correspondaient à l’esprit joyeux du concerto pour basson.

Quels sont vos prochains projets ?

Je viens d’enregistrer ma Symphonie n°9 avec le bel orchestre de Brasov en Roumanie et son chef Cristian Orosanu, musicien sensible et talentueux. La parution est prévue au printemps 2024 avec le label Indesens Calliope Records.

La création de ma Symphonie n°10 est planifiée avec Jean-Jacques Kantorow et l’orchestre de Douai. J’ai le projet d’écrire un concerto pour clarinette pour Paul Meyer mais compte tenu de ce que j’ai dit précédemment, je dois trouver un concept personnel. Je recherche des chefs et des instrumentistes pour les créations de ma Valse toscane pour cordes, ma Canadian march pour orchestre et Crystal pour vibraphone solo. Ce qui m’amène à avouer que je n’écris pas autant que je le souhaiterais car je suis mon propre agent, les compositeurs ne bénéficiant pas de la collaboration d’un imprésario comme pour les instrumentistes. Cela prend beaucoup de temps et d’énergie et je ne suis pas sûr d’être un bon agent !

Le site de Philippe Chamouard : http://philippechamouard.fr/

A écouter :

Philippe Chamouard (né en 1952) : Concertino pour violon et orchestre ; Concerto pour basson et orchestre ; Concerto nocturne pour trompette et orchestre. Eric Aubier, trompette ; Svetlin Roussev, violon ; Giorgio Mandolesi, basson. Orchestre symphonique de Douai, Jean-Jacques Kantorow. 2023. Livret en français et anglais. 53’34’’. Indésens Calliope Records. IC013. 

Propos receuillis par Pierre-Jean Tribot

Crédits photographiques : DR

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