Premier volume d’une intégrale des symphonies de Schumann et Brahms, et le Concerto de la jeune Clara

par

Robert Schumann (1810-1856) : Symphonie no 1 en si bémol majeur opus 68 ;  Clara Schumann (1819-1896) : concerto pour piano en la mineur opus 7 ; Johannes Brahms (1833-1897) : Symphonie n) 1 en do mineur opus 68 ; Gabriela Montero (*1970) : Improvisations no 1-5. Gabriela Montero, piano. Alexander Shelley, Orchestre du centre National des Arts du Canada. Livret en français, anglais. Février & mai 2019, janvier 2020. TT 60’15 & 61’56. Analekta, AN 2 8877-8

À peine sorti de l’adolescence, Brahms se rendit à Düsseldorf rencontrer l’influent Robert Schumann qui y avait installé son foyer trois ans auparavant, à l’invitation d’un poste de Generalmusikdirektor qui se traduira vite par un succès mitigé. Fondateur de la Neue Zeitschrift für Musik pour laquelle il écrivit de 1834 à 1843, ensuite professeur à Leipzig, tenant salon, entretenant un réseau de correspondants dans toute l’Europe, Schumann était une personnalité importante de la vie musicale allemande quand Brahms vint lui présenter en septembre 1853 ses tout frais opus. Enthousiaste, Robert succombe aussitôt à l’écriture pianistique de ce jeune homme qu’il qualifie d’ « enfant chéri des muses », et dont il recommandera les deux premières Sonates à l’éditeur Breitkopf & Härtel. Des liens forts se créent entre le cadet et le couple. Pour peu de temps. On connaît les tristes dernières années de Schumann, rattrapé par la maladie, le dérèglement mental, interné en mars 1854 près de Bonn dans un asile dont il ne sortira jamais. Johannes et l’épouse du défunt maintinrent toute leur vie des sentiments d’estime professionnelle, voire d’affection. 

Ce sont ces trois personnalités qu’honore cet album baptisé « les favoris des muses » et qu’on nous annonce comme une intégrale des quatre symphonies des deux compositeurs, assortis d’œuvres de celle, « le soleil éternel, ou peut-être l’étoile, qui a éclairé leurs parcours respectifs, mais qu’on apprécie de plus en plus pour sa propre lumière », comme l’exprime joliment Julie Pedneault-Deslauriers dans la notice. Deux originalités donc, d’abord mettre en regard la production orchestrale des deux grands piliers du romantisme germanique, ensuite les faire voisiner avec la grande concertiste dont le catalogue reste à revaloriser. À ce parcours s’ajoutent quelques improvisations de Gabriela Montero pour traduire l’état d’esprit dans lequel sa musique l’a laissée.

Réunir ce trio en un même programme est une idée trop séduisante pour être radicalement neuve. Le public parisien se souvient peut-être de ce concert d’avril 2019, qui au Théâtre des Champs-Élysées assemblait l’Ouverture de Genoveva, la Symphonie no 2 de Brahms et le Concerto en la mineur écrit par la demoiselle d’une quinzaine d’années, qui se nommait encore Wieck. En 2019 également, à l’occasion du bicentenaire de la naissance de la musicienne, le Gewandhaus de Leipzig programmait ce Concerto ainsi que la Symphonie « Le Printemps », deux œuvres qui vécurent leur création en cette ville, sous la baguette de… Felix Mendelssohn. Ce Concerto, encore tout récemment à l’affiche de la Philharmonie de Radio-France (8 janvier, avec Vanessa Benelli Mosell et Mikko Franck), figurant dans l’album d’Isata Kanneh-Mason capté l’an passé à Liverpool (Decca), semble connaître un regain depuis l’enregistrement pionnier de Veronica Jochum en janvier 1988, avec Joseph Silverstein et l’orchestre de Bamberg. 

Gabriela Montero et l’orchestre canadien en proposent une lecture fluide et animée, mais qui manque un peu de charisme. Pas très lyrique dans la Romanze qui ne demande qu’à s’épancher, pas très extravertie dans le Finale. Idem pour l’interprétation de la Symphonie de Schumann : textures fines, légères, mais le legato tend à niveler le relief dynamique, émousser les accents, gonfler certaines phrases en soufflet. Malgré l’énergie, les montées de sève de l’Allegro molto vivace restent timides, le vibrato congru artificialise les paliers d’intensité. Le Larghetto frémit par de délicates efflorescences, actives mais dont la lisse surface estompe le contenu émotionnel. Vif tempo pour le Scherzo qui gambade sans accorder leur plein volume aux saillies. Les pratiques nourries au HIP n’inspirent pas un discours très communicatif. Les bois peu expansifs, les relances tièdes amoindrissent le pétulant Finale, qui apparait alors plus gracieux que débordant d’allégresse.

L’interprétation de l’opus 68 manifeste les mêmes ingrédients : une masse coagulée, une perspective globalisante où même la vigueur de la propulsion initiale ne dispense pas les arêtes attendues de ce paysage. Le parcours privilégie l’à-plat, le terrain de fond, dans une sonorité quasi organistique, caoutchouteuse dans les basses. Les marqueurs structurels (reprise de l’Allegro à 5’36), les bouffées passionnelles s’aplanissent. Les amateurs de prestations ardentes constateront les limites d’une approche veloutée, limée, dont les violons blanchis, les vents inhibés gomment le drame espéré. D’autant que la captation n’est pas précisément focalisée. Le ton s’en trouve classicisé, ce qui convient mieux au précautionneux Andante, tracé avec soin par les pupitres canadiens, et au Poco allegretto, sobrement mais efficacement restitué. Dans cette optique, le mouvement le plus intéressant est le quatrième : le panorama ménage le suspense (l’épisode en pizzicato à 0’38), dispense patiemment la solennité (les cors à 2’57, l’allegro esquissé à 5’16). Dans le genre narratif, presque brucknérien, c’est réussi. Cependant la molle irruption à 6’23 retombe dans les travers du plat, du poncé et du convenu. Le jaillissement vire à l’attentisme qui escamote le plein effet des péripéties (par exemple à 11’45, à 15’19). Alexander Shelley ne tarit pas d’idées ni d’adresse (la retenue avant la conclusion à 16’17), il suggère plutôt qu’il n’assène des intentions et propose une vision cohérente, à apprécier comme telle, malgré quelques chemins hésitants qui « niaisent avec la puck ». Un défaut de spontanéité qu’on peut certes comprendre comme une discipline, mais un littéralisme, une modération loin de la fresque qui rayonne de la baguette des éminents aînés.

Au-delà de son concept a priori attrayant, on s’interroge sur la portée de cet album. Les auditeurs qui souhaitent une bonne lecture du Concerto l’y trouveront, mais n’auront peut-être pas envie d’investir dans un double-CD qui contient aussi les deux grandes symphonies dans de probes lectures soumises à une innombrable concurrence discographique. Réciproquement, les mélomanes curieux de découvrir ces deux symphonies dans un style décanté, nourri par les tendances de direction à la mode, ne seront eux peut-être pas gourmands du Concerto de jeunesse qui n’a rien d’un chef-d’œuvre. Et enfin, le public friand des relations entre les trois compositeurs ici conviés estimera-t-il que le prétexte biographique se reflète dans la mise en perspective de leur œuvre ? Auquel cas le livret pourrait s’essayer à l’analyse musicale comparée, et tenter de mieux dénouer les réseaux d’influence.

Son : 7 – Livret : 9 (intéressant mais face à l’ambition du projet…) – Répertoire : 10 (symphonies) & 7 – Interprétation : 7,5

 Christophe Steyne

 

 

 

 

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.