Un oratorio de Gregor Joseph Werner à la cour des Esterhazy

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Gregor Joseph Werner (1693-1766) : Der Gute Hirt, oratorio en deux actes. Ágnes Kovács, soprano ; Péter Bárány, contreténor ; Zoltán Megyesi, ténor ; Lóránt Najbauer, basse ; Adriána Kalafszky, soprano ; Purcell Choir ; Orfeo Orchestra, direction György Vashegyi. 2019. Notice en anglais, en français, en allemand et en hongrois. Textes chantés en allemand avec traduction hongroise. 84.49. Un album de deux CD Accent ACC 26502.

Avec cette parabole du Bon Pasteur, le label Accent propose le deuxième album d’une série intitulée Esterhazy Music Collection, destinée à rendre hommage à cette famille princière. La dynastie aristocratique hongroise des Esterhazy s’est comportée en mécène éclairé du XVIIe au XIXe siècle. Un premier volume a été consacré à trois symphonies de Haydn, « Matin », « Midi » et « Soir ». Lorsque Haydn est engagé par les Esterhazy à Eisenstadt en 1761, il devient l’assistant de Gregor Joseph Werner, qui est depuis 33 ans au service de la famille et le sera encore jusqu’à son décès, cinq ans plus tard. Né à Ybbs, sur la rive droite du Danube, ce compositeur autrichien, qui a été organiste à l’abbaye de Melk, va composer de la musique de chambre en grand nombre, plus de vingt messes et un peu moins d’une vingtaine d’oratorios, la plupart « al sepolcro », c’est-à-dire destinés au Vendredi-Saint. Parmi eux, figure le présent Der Gute Hirt, créé à Eisenstadt en 1739, qui va attendre près de trois siècles avant de refaire son apparition grâce au présent enregistrement.

L’intéressante notice précise que le jeune Haydn semble avoir tenu son prédécesseur en haute estime, empruntant les partitions de Werner pour en conserver des copies. Der Gute Hirt faisait partie de sa bibliothèque. Haydn utilisa aussi six thèmes de fugues de Werner pour des quatuors à cordes qu’il publia en 1804 et 1805. Der Gute Hirt date de bien avant l’arrivée de Haydn à la cour des Esterhazy. Cette parabole « du Bon Pasteur », extraite de l’Evangile selon Saint-Luc, est bien connue ; Werner y a inclus des passages sur le pouvoir de l’amour, tirés de la première épître aux Corinthiens, et des paraphrases du Psaume 42 pour un aria qui parle de « la biche assoiffée qui cherche l’eau vive ». Cette allégorie d’inspiration biblique, divisée en deux actes, s’ouvre par une introduction aux accents dramatiques, suivie de 21 mouvements au cours desquels récitatifs et arias se succèdent. Les récitatifs, dont le texte est de la main du compositeur, sont assez inégaux et se révèlent parfois fades, certains tirant franchement en longueur. Dans ce contexte, la brebis est tout à sa joie d’être libérée des contingences, tandis que le pèlerin et le bon pasteur, symboles de la vertu, jouent un rôle protecteur pour remettre la brebis sur le droit chemin et lui faire entrevoir les joies du paradis. Ce qui inclut des moments où l’hypothèse de la damnation n’est pas écartée, donnant à la parabole une portée morale, qui, comme l’explique la notice, pourrait s’inscrire dans le contexte de l’épidémie de peste qui ravagea la moitié orientale de la Hongrie et de la Transylvanie entre 1738 et 1742, entraînant le décès de 250 000 personnes. A cet effet, un même motif traverse la partition : il donne la sensation de coups donnés et d’un cœur qui bat avec angoisse.

La musique révèle un incontestable métier. Elle est très agréable à écouter, en raison de son côté baroque tardif, mais aussi d’une dynamique qui se concrétise à travers une instrumentation habile ; celle-ci ajoute aux airs des accompagnements très réussis de chalumeau, de trombone, de basson, de délicat théorbe et, en continuo, de clavecin ou d’orgue. S’il y a trois personnages principaux, les chanteurs sont au nombre de quatre. Le pèlerin est une basse, la brebis est une soprano. Le bon pasteur se dédouble : contreténor dans le premier acte, ténor dans le second, lorsque l’au-delà est invoqué. Un cinquième rôle chanté est dévolu à une soprano, il s’agit d’Echo, qui incarne le côté pastoral. Tout cette musique s’écoute avec plaisir, mais sans passion car, nous l’avons dit, Werner n’arrive pas à éviter les effets de logorrhée des récitatifs. L’intérêt de la partie instrumentale surpasse celui du chant.

Le plateau vocal n’est pas du tout en cause, car chaque interprète est bien à sa place. La brebis de la soprano Ágnes Kovács est, comme on l’attend, fraîche et même juvénile, avec des aigus bien placés. Le pèlerin, servi par la basse Lóránt Najbauer  bénéficie d’une belle diction, claire et précise. Le bon pasteur est doublement attribué, nous l’avons dit : le contreténor Péter Bárány, contreténor et le ténor Zoltán Megyesi,  en particulier ce dernier, sont convaincants. Quant à la soprano Adriána Kalafszky elle tire l’Echo vers un naturel galant réjouissant. Chœurs et orchestre sont dirigés avec la ferveur habituelle déployée par György Vashegyi, qui montre qu’il croit à cette résurrection, somme toute bienvenue, même si l’intérêt de cette production, très bien enregistrée dans la grande salle de l’Académie Liszt de Budapest en janvier 2019, relève plus du jalon documentaire et historique que du chef-d’œuvre. Le mélomane francophone regrettera de son côté que le texte du livret en langue allemande ne soit traduit qu’en hongrois. Cela enlève aussi une partie du plaisir…

 Son : 9    Livret : 7    Répertoire : 8    Interprétation : 9

Jean Lacroix

  

 

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