Push à La Monnaie

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Créé en 2016 au Battle Festival (Battle, Angleterre), Push fait partie de ces œuvres fortes et émouvantes qui font écho à la réalité. L’opéra relate l’histoire vraie de Simon Gronowski, jeune déporté en route pour Auschwitz qui survécut grâce à sa mère, qui le poussa hors du train en 1943. Resté caché jusqu’au 8 mai 1945, la guerre lui prit tout : sa mère et sa sœur Ita, décédées dans les chambres à gaz d’Auschwitz, et son père, mort de désespoir en juin 1945.

Pourtant, à 87 ans, Simon Gronowski est aujourd’hui un homme optimiste qui croit en l’avenir. Courageusement, il décida d’écrire et de publier son histoire en 1990 (L’enfant du 20e convoi). C’est d’ailleurs grâce à cet acte de bravoure qu’il put rencontrer un des gardes d’Auschwitz de l’époque, à qui il a pardonné après tant d’années. C’est dans cette idée de compassion et d’ouverture pour un monde meilleur que Simon continue encore de partager son histoire.

C’est après l’une de ses conférences en 2014 que le compositeur britannique Howard Moody a décidé de mettre en musique l’histoire de Simon. Déjà connu en Belgique pour The Brussels Requiem (2012) ou Sindbad (2014), Howard Moody est -à nouveau !- parvenu à mêler différents styles de musique, allant du classique à la variété, en respectant toujours la logique de la trame. Il écrit lui-même le livret en incorporant plusieurs citations de Simon Gronowski, dont la fameuse « ma vie n’est que miracles », repris par l’ensemble des chanteurs à la fin de l’opéra.

En à peine 1h05, l’opéra réussit à émouvoir, toucher mais surtout interpeller. La mise en scène, signée par le baryton Benoît de Leersnyder, veut directement interagir avec le public. Ainsi, l’opéra commence quand le public rejoint la salle Malibran dans un monte-charge complètement bondé. Arrivé sur scène, il se retrouve mélangé avec les prisonniers des chœurs, tous encerclés par des gardes aux regards froids. La musique commence sans prévenir et le chœur, demandant ce qui va leur arriver, interpelle directement le public avec des regards et des gestes.

Le début de l’œuvre donne le ton : le public n’assistera pas à une représentation classique mais sera témoin et acteur du sentiment d’oppression, de détresse et d’incompréhension que pouvaient ressentir les victimes de l’Holocauste. Sitôt prévenu, le public peut aller s’assoir de part et d’autre de la scène.

Dans son livret, Howard Moody a donné deux perspectives à l’histoire de Simon : celle du passé et celle du présent. La scène représente les évènements passés avec les prisonniers, les gardes, les collaborateurs et les rebelles tandis que le présent est entretenu par Simon (devenu adulte) et l’esprit de sa sœur Ita. Le frère et la sœur se font face, debouts dans le public, et commentent les évènements qui se déroulent sous leurs yeux. Tout au long de l’opéra, des vidéos sont projetées : on y voit aussi bien des archives de la Seconde Guerre Mondiale que des vidéos récentes sur l’immigration moderne. Tout dans la mise en scène, l’éclairage et les costumes est travaillé pour conférer l’impact le plus fort possible auprès du public : les costumes sont basiques mais permettent d’identifier rapidement chaque personnage tandis l’éclairage joue subtilement de techniques diverses comme les contre-jours pour ajouter des effets dramatiques.

La distribution est digne de l’œuvre : le rôle de Simon adulte est attribué au jeune britannique James Newby qui avait déjà chanté le rôle pour la création en 2016. Pour sa première à la Monnaie, le jeune baryton a prouvé son jeu d’acteur en donnant une interprétation criante de vérité : un Simon à la fois terrorisé mais compatissant. Doté d’une voix ronde et claire, James Newby est un chanteur prometteur qui ne tardera pas à avoir une belle carrière.

Sheva Tehoval montre qu’il est possible de jouer sans bouger une seule fois de tout l’opéra. À la fois distante physiquement et impliquée moralement, la soprano belge donne une image douce de l’esprit d’Ita. Sa voix n’a pas manqué de faire se retourner plusieurs fois le public lors de ses grands moments, que ce soit d’un legato piano parfaitement maîtrisé ou avec ses grands aigus dignes d’une intervention divine. Ivan Ludlow, lui aussi créateur du rôle en 2016, dépeint un garde violent et pourtant fragile. Son timbre chaud de baryton colle aussi bien au côté dramatique du personnage du début qu’à sa position de faiblesse dans le final.

Le chœur est le centre de l’opéra avec ses nombreuses manifestations. Il est essentiellement composé d’amateurs de tous niveaux et il a parfaitement assumé cette place centrale dans l’œuvre. Du plus jeune enfant jusqu’aux adultes plus âgés, tout le monde amène son personnage avec ses peurs, ses doutes et ses suggestions. Les individus forment un ensemble qui, malgré une mise en scène parfois très mouvante, a réussi à séduire avec un chant toujours juste et bien mené. On applaudira particulièrement le chœur des enfants qui a su captiver le public lors de divers solos, le tout avec une technique impeccable pour leur jeune âge. Et le rôle secondaire de Simon enfant (qui n’a cependant pas plus de deux phrases à chanter) est attribué à 4 enfants issus du chœur des enfants de la Monnaie, Felix Cooper, Thylan Aerts, Milo Avalosse et Djurre Diels. Cette petite intervention, suivie d’une course représentant la fuite de Simon, mérite d’être félicitée.

L’œuvre a la chance d’être dirigée par Howard Moody lui-même. Confiant, le chef sait où il veut mener sa musique. L’Ensemble de musique de chambre de la Monnaie, situé au-dessus de la scène, s’est toujours montré très attentif face au chef et a comblé la salle. Les différents instruments (du violon classique à la guitare électrique) ont exécuté avec perfection la partition de Sir Moody.

Au final, c’est une réelle ovation qui a accueilli l’opéra : entre sourire compatissant et larmes aux yeux, le public s’est levé et a acclamé toute l’équipe artistique dès les dernières notes. L’émotion était au rendez-vous, mais c’était sans compter l’intervention de Simon Gronowski (le vrai !), présent depuis les générales. Touché par l’œuvre, il a tenu à donner le même message qu’il prône depuis 1990 : un message d’espoir et d’amour, surtout aux futures générations. Nouvelles acclamations, adressées cette fois à Simon Gronowski et à son parcours de vie admirable.
Dans un monde où l’art est facilement négligé et où la montée des extrémismes politiques préoccupe, Push est un opéra à voir et à revoir, pour ne pas « oublier », comme le dit Simon Gronowski.

Romy Leroy, reporter IMEP

Bruxelles, Salle Malibran, le 15 mars 2019

Crédits photographiques : H. Segers / La Monnaie De Munt

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