Le Klarafestival débute en beauté

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Même si le Klarafestival s’est choisi pour thème cette année un Libera me qui n’est peut-être pas d’une parfaite clarté (on peut se libérer de tant de choses), le concert inaugural du festival n’en fut pas moins une réussite due autant à une programmation intelligente et libérée des facilités de la routine qu’à des interprètes qui s’engagèrent pleinement en faveur des oeuvres qui figuraient au programme de cet European Gala.

A la tête d’un Chamber Orchestra of Europe qui, basé à Londres, livre par son existence même la plus belle des réponses -y compris dans son pays d’accueil- à ceux qui pourraient se demander à quoi peut bien servir l’Europe, le jeune chef allemand David Afkham entama la soirée par les rares Deux épisodes tirés du Faust de Lenau de Liszt. Dans le premier, La Procession nocturne, tant les effectifs réduits de l’orchestre que la patte légère du chef (dirigeant ici sans baguette) assurèrent une exécution toute de transparence et de poésie, alors que La Danse dans l’auberge du village (qui n’est autre qu’une adaptation pour orchestre de la Méphisto-Valse N° 1 du compositeur) se vit enlevée avec un élan irrésistible par un David Afkham menant ses troupes - cette fois-ci avec baguette- avec cette autorité naturelle qui est la marque des vrais chefs.

Le Quinzième concerto pour piano K. 450 de Mozart n’est que rarement à l’affiche de nos concerts et on est légitimement en droit de se demander pourquoi, surtout après l’exceptionnelle interprétation qu’en offrirent Pierre-Laurent Aimard et l’orchestre. Avant même que l’oeuvre ne retentisse, le pianiste prit le micro pour expliquer son peu de goût pour la disposition classique du piano masquant l’orchestre alors que, dans Mozart, le soliste est là pour dialoguer avec lui. Et, de fait, le piano avait été placé dans le fond de la scène derrière les bois. Aimard expliqua aussi que, dans un esprit de dialogue démocratique, il avait été opté pour une exécution sans chef, pour éviter « le show visuel » qui trop souvent distrait de la musique. Dès l’introduction de l’Allegro initial, on se rendit bien vite compte que la direction -comme c’était la pratique à l’époque de Mozart- se trouvait de fait répartie entre la concertmeister Candida Thompson et le soliste. Est-ce cela qui instaura cette ambiance exceptionnelle de complicité musicale ? Ce n’est pas à exclure, mais il faut avant tout louer la totale implication de tous les musiciens présents sur la scène du Palais des Beaux-Arts, à commencer par le soliste qui fit, une fois de plus, montre des qualités qu’on lui connaît : mécanisme parfait (ah, ces trilles irréprochables et ces gammes roulées à la perfection), simplicité des phrasés, usage modéré de la pédale, intelligence et goût jamais en défaut, clarté sans sécheresse ni pédanterie. Le seul prix à payer pour cette position en retrait du piano était un son de l’instrument moins brillant que d’habitude, ce qui ne gêna nullement. Le maître-mot de l’Andante fut la simplicité, car voici un Mozart qui n’a rien de charmeur ou de galant, mais dont le sérieux et l’honnêteté touchent immanquablement, comme chez un Casadesus ou un Serkin. Et c’est un étincelant jeu d’esprit que nous offrirent l’orchestre et le soliste dans un Finale enchanteur.

David Afkham revint après la pause pour cette fascinante rareté qu’est La Première nuit de Walpurgis de Mendelssohn, cantate profane sur un texte de Goethe décrivant une fête païenne où, dans les premiers temps du christianisme, une communauté villageoise et ses druides tentent de célébrer, dans la nuit du 30 avril au 1er mai, le culte païen encore tenace alors que les chrétiens qui dominent à présent le village veulent l’interdire. Les tenants du culte ancien se déguisent alors en sorcières, fantômes et démons, effrayant à ce point les chrétiens qu’ils n’ont d’autre ressource que de s’enfuir. C’est un chef-d’oeuvre qu’écrivit ici Mendelssohn, dont la maîtrise de l’écriture orchestrale et chorale (superbement servie par le Collegium Vocale Gent) est remarquable, comme le sont les parties confiées aux quatre solistes vocaux tous excellents, à commencer par la belle basse chantante de Tareq Nazmi et le fin ténor de Werner Güra. S’ils eurent moins à faire, le baryton Johannes Weisser et la mezzo Sophie Harmsen firent eux aussi entendre de belles choses. Sensible à la fine poésie comme à l’invention par moments stupéfiante de Mendelssohn, David Afkham sut galvaniser ses troupes avec autant de talent que d’enthousiasme.

Bruxelles, Bozar, 14 mars 2019.

Crédits photographiques : Gisela Schenker

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