Réédition des Préludes et Fugues de Chostakovitch  par Alexander Melnikov, enfin réunis sur deux disques

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Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : 24 Préludes et Fugues op. 87. Alexander Melnikov, piano. 2008/2009. Notice en français, en anglais et en allemand. 151.15. Un album de deux CD Harmonia Mundi HMM932919-20.

Lorsque les 24 Préludes et Fugues de Chostakovitch, gravés par Alexander Melnikov (°1973) au Studio Teldex de Berlin en mai et décembre 2008 et mars 2009, furent mis sur le marché par Harmonia Mundi en 2010 (HMC 902019.20), ils parurent dans un produit à l’organisation quelque peu particulière. Cet album de trois CD accueillait, sur le premier d’entre eux, les préludes et fugues 1 à 12 de la série, le deuxième proposant les préludes et fugues 13 à 23. Sur le troisième figuraient, un peu orphelins, les seuls préludes et fugues n° 24, ce qui équivalait à une maigre durée de moins de douze minutes. Il était frustrant de devoir interrompre l’écoute avant ces pièces ultimes. Il y avait toutefois un bonus : en retournant ce troisième CD, on découvrait un DVD qui offrait un entretien, réalisé à Berlin le 15 novembre 2009, entre Alexander Melnikov et Andreas Staier, agrémenté de quelques moments de répétition. Ce dialogue consistait en considérations sur Chostakovitch et son existence au sein du monde soviétique, et en précisions sur l’écriture des Préludes et Fugues. Si cet ajout de vingt-trois minutes, filmé par Christian Leblé, était loin d’être inintéressant, il apparaissait malgré tout comme une compensation à la curieuse construction de cet objet discographique. 

Douze ans plus tard, Harmonia Mundi remet le couvert avec la réédition de l’intégrale : cette fois, les Préludes et Fugues n’occupent plus que deux disques, le cycle étant fractionné équitablement par moitié. Le DVD a disparu. A part cela, le texte de présentation, signé par Melnikov lui-même, est à l’identique, et il est toujours écrit « en souvenir » d’Alexander Dolzhansky (1908-1966), musicologue originaire de Rostov, auteur de travaux sur l’élaboration par Chostakovitch d’un système tonal et modal personnel complexe. Pour rappel, c’est lors d’un de ses rares séjours en dehors de l’Union Soviétique que Chostakovitch assista en 1950 à Leipzig à un concert donné par Tatiana Nikolaeva pour le bicentenaire de la naissance de Jean-Sébastien Bach. La virtuose russe y imposa sa vision du Clavier bien tempéré, ce qui impressionna beaucoup le compositeur. Il se mit au travail et composa en à peine trois mois et demi, entre octobre 1950 et février 1951, un cycle en deux parties comprenant respectivement douze préludes et fugues, qu’il ne considérait pas cependant -selon ses propres dires- comme un cycle continu, mais comme une succession d’œuvres dépourvues de tout lien thématique. (Krzysztof Meyer, Dimitri Chostakovitch, Fayard, 1994, p. 335). Malgré les critiques soulevées par l’Union des Compositeurs, accusant le musicien de retour au formalisme et à la décadence, Tatiana Nikolaeva imposa la partition et en devint l’ardente porte-drapeau, pour ne pas dire la prêtresse, au point de lui consacrer trois enregistrements, en 1962, 1987 et 1990, sous diverses étiquettes. 

Après Nikolaeva, des intégrales ont été publiées notamment par Roger Woodward (RCA, 1975), Caroline Weichert (Accord, 1992), Keith Jarrett (ECM, 1992), Vladimir Ashkenazy (Decca, 1999, remarquable), Konstantin Scherbakov (Naxos, 2000), Muza Rubackyté (Brilliant, 2006), Jenny Linn (Hänssler, 2009) ou Peter Donohoe (Signum, 2017). D’autres se sont contentés d’extraits, comme Sviatoslav Richter, Emil Gilels ou le compositeur lui-même, indispensable, dans une poésie qui se traduit en lignes claires. Mais les monuments Nikolaeva ont toujours dominé la discographie, même si une certaine austérité demande de la concentration. 

Chez Melnikov, on retrouve l’esprit de Bach, mais aussi celui des contemporains de Chostakovitch, Prokofiev étant parfois bien proche (un aspect souligné dans le DVD absent de la nouvelle présentation). Ce pianiste moscovite, qui a terminé ses études auprès de Lev Naoumov et que Richter appréciait beaucoup, concilie une créativité, qui n’est pas sans rappeler l’improvisation, à une fluidité sonore qui est moderne, aérée et pleine d’inventivité. Si Nikolaeva demeure la référence suprême, Melnikov la suit de peu : on appréciera la qualité de la narration, y compris la plus intime, et la profondeur de l’articulation. La prise de son est supérieure chez Melnikov. Une réédition bienvenue, dans des conditions telles que nous les avons décrites qui, si elles nous privent de l’entretien initial filmé (ceux qui le possèdent n’hésiteront pas à le conserver), relèvent de la plus élémentaire logique en ce qui concerne la présentation du cycle.

Son : 9  Notice : 10   Répertoire 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix  

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