« La Fleur Bleue » : voyage à programme dans l’orgue germanique du XIXe siècle

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Die blaue Blume. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Fantasie en sol mineur Op. 77 ; Felix Mendelssohn (1809-1847) : Les Hébrides, ouverture de concert Op. 26 ; Robert Schumann (1810-1856) : Waldszenen Op. 82 ; Franz Liszt (1811-1886) : Saint-François de Paule marchant sur les flots [arrangements]. Julius Reubke (1834-1858) : Orgelsonate en ut mineur «Der 94. Psalm». Martin Schmeding, orgue. Livret en allemand, anglais. Septembre 2021. TT 80’26. SACD Aeolus AE-11321

Au-delà de ses nombreux enregistrements dédiés au répertoire contemporain (Tilo Medek, Günther Becker, Oskar Gottlieb Blarr, Wolfgang Rihm…) et de sa monumentale intégrale Max Reger, la discographie de Martin Schmeding compte déjà plusieurs jalons consacrés à l’œuvre pour tuyaux de Felix Mendelssohn, Robert Schumann, Johannes Brahms, Franz Schmidt. L’organiste allemand nous revient avec un album-concept particulièrement accessible et motivant. Le livret cite l’écrivain Novalis (1772-1801) pour justifier son titre, « La fleur bleue ». Dans la littérature d’Outre-Rhin, elle figure comme symbole central du romantisme, elle représente la nostalgie du lointain, l’errance et l’infini, elle manifeste l’aspiration à la connaissance de soi par la nature et ce qu’elle inspire. Une relation réflexive entre soi et le monde, qui ouvre sur l’imaginaire.

Malgré les explications, on avoue ne pas avoir bien saisi en quoi la Fantaisie de Beethoven et la Sonate de Reubke (pages de rage et d’obsécration sur le Psaume 94, Dieu des vengeances) se rattacheraient directement à la thématique de la Blaue Blume. À notre goût, pour rester dans la même aire et la même interaction naturalisme/métaphysique, on aurait pu songer au détachement du Herzlich tut mich verlangen op. 122/10 de Brahms, aux Murmures de la forêt de Siegfried de Richard Wagner, à un Adagio brucknérien, aux Trois Impressions (Harmonies du soir, Clair de lune, La nuit) op. 72 ou Sept pastels du Lac de Constance op. 96 de Sigfrid Karg-Elert. De Liszt, on aurait pu inviter Les Préludes dont le programme poétique (Bonheur en amour, Tourments de la vie, Retour à la nature…) collât idéalement au sujet. Et au rang du fantasme, Berg et Webern s’étant penché sur des transcriptions pour clavier des Gurre-lieder de Schönberg : pourquoi pas une apothéose sur le Seht die Sonne, quand les intrigues amoureuses se dissolvent dans un radieux panthéisme ?

Dans l’absolu, on saluera en tout cas le choix d’œuvres significatives, et les arrangements ici proposés. La célèbre évocation du tableau marin La Grotte de Fingal, jouée dans une veine impressionniste qui lui sied, et les non moins populaires Scènes de la Forêt, qui auraient requis une incarnation plus caractérisée : on préfèrera les Fleurs solitaires pastellisées et une avenante Auberge à un Jagdlied trop falot où la gouaille des chasseurs semble engourdie après schnaps. La Légende lisztienne de Saint-François de Paule revient périodiquement à la tribune où elle résonne avec conviction : Henri-Frank Beaupérin, Massimo Nosetti, Peter Kofler, Loreto Aramendi, Olivier Latry, Pascal Kaufmann l’ont enregistrée, dans leur propre transcription ou celles de Max Reger, Louis Robilliard, Lionel Rogg… Martin Schmeding a ici opté pour celle de Wolfgang Sebastian Meyer (1936-1966), traduisant parfaitement les effets ondulants et l’intensité de la scène.

Ce SACD ajoute une version de la Sonate de Reubke aux quelque cent-cinquante que compte la discographie -une des œuvres les plus enregistrés du XIXe siècle. Cette vision ne manque ni de force ni de sensibilité mais les 36 jeux de la console de la Friedenskirche (dépourvue d’anches en 32’ prévus par la partition et dont disposait l’auteur lors de la première audition sur la Ladegast de Merseburg) livrent un portrait plutôt intimiste de cette fresque, dans une acoustique précise mais peu réverbérée. On aurait aussi apprécié que les sections fassent l’objet d’une plagination indexant le schéma de ce monolithe d’une demi-heure. Bilan, un intéressant et généreux parcours dans le romantisme germanique, qui s’avère une carte de visite fort réussie pour l’orgue tout récemment installé à Cologne-Mülheim (2017) par le facteur Woehl.

Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 9-10 – Interprétation : 8-9

Christophe Steyne

 

 

 

 



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