Révélation d’un des quatre oratorios salzbourgeois de J.M. Haydn

par

Johann Michael Haydn (1737-1806) : Kaiser Constantin I. Feldzug und Sieg. Emőke Baráth, Klára Kolonits, Theodora Raftis, Chantal Santon Jeffery, Katalin Szutrély, soprano. Purcell Choir. Orfeo Orchestra. György Vashegyi. Mai 2016. Livret en anglais, français, allemand, hongrois ; paroles en allemand sans traduction. TT 50’49 + 40’39. Accent ACC 26504

La compromettante Lettre volée d’Edgar Allan Poe, que l’on traque en vain alors qu’elle se trouve à portée de main ! On le croyait perdu, cet oratorio, un des quatre légués par ce compositeur, alors qu’on l’a retrouvé dans une des institutions les plus probables : la Bibliothèque Széchényi de Budapest, qui préserve la plus grande collection au monde des œuvres de la fratrie Haydn. Daté de 1769, écrit pour la Cour du Duc Sigismund von Schrattenbach en temps de Carême quand se taisait l’opéra, ce Kaiser Constantin I. Feldzug und Sieg prétexte un sujet historique (la campagne et la victoire de l’Empereur Constantin au début du IVe siècle) pour présenter une apologie du triomphe de la foi chrétienne, en ces époques de persécution.

Foi, Pusillanimité, Philosophie, Bravoure, Théologie : tels sont les cinq personnages allégoriques, confiés à cinq chanteuses de même tessiture, qui se partagent les airs et récitatifs, au gré de leurs réflexions et leurs débats. Quant au genre : un archétype de l’oratorio italianiste salzbourgeois, dont la notice de l’album détaille les spécificités, entre tradition et modernité. Formellement, on citera le développement de la naissante forme sonate, confrontée aux traitements contrapuntiques dès l’Introduzione orchestrale, et avec le conventionnel da capo dans les arias. Le chœur final, entre insertion plain-chantesque et fugato à variations, incluant numéro de contre-ténor, signe une autre singularité. Le traitement instrumental valorise les cuivres solistes (trompette, cor, et même trombone) pour l’accompagnement des parties vocales. Le langage cultive un figuralismes acclimaté à l’Empfindsamkeit du temps, pour souligner les affects du texte : violons avec sourdine (Stille, Stille, Gottes Wille), tissu de flûtes pour l’onirique Vernehmet auch von mir

Il s’agit évidemment du tout premier enregistrement de l’œuvre, captée dans l’acoustique précise et flatteuse du Müpa de Budapest et publiée dans le cadre de la « Estherázy Music Collection ». Ces sessions de mai 2016 ont dû patienter avant leur publication l’an dernier, mais l’attente est comblée par la découverte de cette exemplaire réalisation hongroise. La production n’a pas lésiné sur les moyens. Mené par le vétéran archet de Simon Standage (l’inoubliable soliste des Quattro Stagioni avec Trevor Pinnock, Archiv, 1982), l’orchestre rassemble une trentaine de musiciens dont un cossu matelas de cordes. Les deux seules interventions du chœur n’en ont pas moins mobilisé une quarantaine de chanteurs, ardents. Le plateau vocal révèle un quintette de sopranos de première force.  les vocalises d'Emőke Baráth dans un éblouissant Herr, dein Wort ist Recht und Licht.

Confiée à György Vashegyi, la direction d’ensemble se montre aussi inspirée que méticuleuse. Mais la vedette de ce double-disque, c’est foncièrement ce Michael Haydn ombragé par la concurrence patronymique de son célèbre frère, laissant oublier son propre génie. En découvrant ce superbe oratorio, travaillé au trébuchet, on ne s’étonne pas que le jeune Mozart, qui fut appelé comme Konzertmeister dans l’orchestre salzbourgeois, étudia la musique sacrée de son auteur.

Christophe Steyne

Son : 8,5 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9,5

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