Thomas Adès sait s’adapter

par

Thomas Adès (1971-) : Märchentänze ; Hotel Suite from Powder Her Face ; Lieux retrouvés ; Dawn. Pekka Kuusisto, violon  ; Tomas Nuñez, violoncelle ; Finnish Radio Symphony Orchestra, dirigé par Nicholas Collon. 53’33 – 2022 – Livret : anglais, finnois. Ondine. ODE 1411-2. 

D’origine syrienne, Thomas Adès se forme à Londres et à Cambridge : il vit en Angleterre, où il combine des activités de directeur artistique (du festival d'Aldeburgh), de chef d’orchestre et de compositeur – le rôle qui retient notre attention ici, à propos de ce nouveau disque qui rassemble quatre œuvres récentes et inédites, aux humeurs hétérogènes, et complète une discographie fournie, éparpillée auprès de plusieurs éditeurs (cette fois chez Ondine, le label d’Helsinki).

D’emblée, j’ai un faible pour Dawn, sa lenteur acharnée, corpulente et solennelle, son ostinato charnel, expansé, brouilleur d’altitude (ça monte ? ça descend ? oui, la figure répétée jouée par les vents est descendante, mais c’est si agréable de se laisser confondre…) : ce n’est pas la première fois que le sujet (l’aube) excite l’imagination d’un compositeur, cette étape de transition entre l’obscurité de la nuit et l’efflorescence du rayonnement solaire à la courbure de l’horizon est à la fois un phénomène commun (physique et quotidien, il est accessible à chacun) et un espoir fascinant de renouveau, de (r)éveil à la conscience. Le sous-titre de la pièce, Chaconne pour Orchestre à n’importe quelle distance, est à entendre en fonction du contexte vécu lors de son écriture : Adès fait ainsi allusion aux distanciations (sociale, économique, relationnelle, professionnelle…) imposées pendant la pandémie, mais aussi au positionnement des musiciens sur scène (la création s’est faite en l’absence de public, pour un concert streamé, les musiciens répartis à « n’importe quelle distance » dans la salle) et prend la précaution d’écrire pour un nombre variable d’instrumentistes, imaginant une souplesse suffisante pour s’adapter aux contraintes alors mouvantes.

A l’accessibilité drapée d’innocence, Märchentänze, qui donne son titre à l’album, baigne une part de ses racines dans le langage de la musique folklorique britannique (l’ouverture s’assied sur une mélodie dansante qui ne m’enthousiasme pas) et développe son histoire au long de quatre mouvements (le deuxième prend le temps d’une méditation atmosphérique), dont le troisième (le plus court), un solo de violon – du moins dans la version initiale pour violon et piano –, ici rejoint par l’orchestre qui esquisse un vol d’alouettes, a ma préférence.

Entre l’espace et le temps, Marcel Proust s’immerge dans le second, tandis que Thomas Adès, pour Lieux retrouvés (un duo violoncelle et piano adapté à l’orchestre), s’intéresse aux premiers, en trois dimensions ou parties prenantes de sa propre géographie mentale, qu’il s’agisse de reprendre à son compte certains des gestes ou sons de compositeurs anciens ou de faire voir (de façon plutôt figurative) les éléments de son paysage sonore, qu’il fait ici défiler en quatre mouvements : Les eaux raconte le parcours d’un torrent depuis sa source sage jusqu’au tumulte de sa course en pente raide ; La montagne parte de l’ascension et de l’alpiniste confronté à l’escarpement qui se révèle ; Les champs sont ceux libres de tout John Deere ou Massey-Ferguson, terrains de jeux des campagnols et des lièvres, à l’humeur rassasiée et prompts à la contemplation (lent, le violon nous ancre, qu’on le veuille ou non, profondément en terre) ; La ville - cancan macabre souffre de la lourdeur de sa référence – qui permet, certes de l’identifier au Paris d’Offenbach.

Hotel Suite est extrait de l’opéra Powder Her Face, dont le sujet (le traitement fangeux, par la presse people anglaise, de la descente aux enfers de Margaret Campbell, devenue duchesse d’Argyll par mariage avant un divorce scandaleux où le duc l’accuse de 88 infidélités), parfois explicitement abordé dans le spectacle (suffisamment pour valoir une interdiction de diffusion sur une radio britannique), est probablement moins convenu que la partition.

Son : 7 – Livret : 8 – Répertoire : 6 – Interprétation : 7

Bernard Vincken

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.