Paul Lewis enchanteur dans Schubert à Flagey

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Artiste en résidence à Flagey, Paul Lewis s’y produisait pour la deuxième fois cette saison et à nouveau dans un programme entièrement consacré à Schubert.

Débutant par la Sonate N° 15 en ut majeur, D. 840, dite « Reliquie » car Schubert n’en acheva que les deux premiers mouvements (les deux derniers étant demeurés à l’état d’esquisses), le pianiste britannique ne tarda pas à démontrer pourquoi il est tenu en si haute estime dans ce répertoire qu’il aborde avec un lyrisme où tout chante, mais où rien n’est jamais sentimental ou sucré. Il y a dans son approche une modestie réelle face à la musique, mais aussi une curiosité sans cesse en éveil qui interroge la musique au plus près sans jamais cesser de la respecter. Et on pourrait y ajouter un sérieux -car Schubert est de ces compositeurs pour qui la musique est chose sérieuse- qui le fait sans cesse interroger la musique tout en respectant la parfaite intégrité de celle-ci.

C’est ainsi que dans la Sonate N° 13 en la majeur, D.664, Lewis toucha infailliblement juste dans cette oeuvre lyrique et lumineuse qui n’est certainement pas la plus exigeante ni techniquement ni dramatiquement du compositeur, mais où l’interprète parvint à saisir à la perfection la joie modeste et sans exubérance de l’Andante ou la solaire et gaie clarté d’un Allegro final qui coule moins de source qu’on ne pourrait le penser. 

Le sommet de la soirée fut certainement l’interprétation de la Sonate N° 16 en la mineur, trop souvent délaissée en récital au profit des trois dernières sonates du compositeur. Dans le Moderato initial, Lewis parvint à parfaitement concilier le caractère doux-amer du premier motif et les octaves obsessionnelles et martelées avec lequel elles alternent (ces dernières jouées avec fermeté et un beau son plein, mais toujours exemptes de brutalité). Le touchant Andante poco mosso fut impeccablement énoncé, avec d’un côté ce lyrisme insouciant et serein si schubertien (mais où l’on aurait cherché en vain la moindre trace de mièvrerie) et de l’autre cet étrange parfum, pas moins schubertien, qui émane de cette musique que l’on croirait venue d’un autre monde. Et on se montrera tout aussi élogieux pour le Scherzo dont le Trio, joué avec une sonorité merveilleusement feutrée, tenait du rêve éveillé. On ne peut ici que saluer la phénoménale sensibilité du pianiste qui nous livra une superbe interprétation de cette grande oeuvre dont il montra à tout moment qu’il avait pleinement la mesure aussi bien par une sensibilité de tous les instants que par son intelligence de la structure, de l’harmonie et du rythme.

Patrice Lieberman

Bruxelles, Flagey, le 17 mars 2023.

Crédits photographiques : Johan Jacobs

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