Un anniversaire avec Messiaen par Kent Nagano
Olivier Messiaen (1908-1992) : La Transfiguration de notre seigneur Jésus Christ, Poèmes pour Mi, Chronochromie. Pierre-Laurent Aimard, piano ; Lionel Cottet, violoncelle ; Henrik Wiese, flûte ; Stefan Schilling, clarinette ; Christian Pilz, Guido Marggrander, marimba ; Jörg Hannabach, vibraphone ; Jenny Daviet, soprano. Chor und Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, Kent Nagano. 2017-2019. Livret en anglais et allemand. Textes chantés en latin et français, traduction en anglais et allemand. 3 CD BR KLassik. 900203
A l’occasion des 70 ans du chef d’orchestre Kent Nagano, le label de la Radio Bavaroise nous propose un exceptionnel coffret consacré à des grandes œuvres de Messiaen sous la direction du maestro.
En matière de Messiaen, le musicien californien est particulièrement pertinent par sa fidèle défense des partitions du compositeur français, y compris dans ses caractérisations les plus radicales comme son opéra démesuré Saint François d’Assise ou avec l'imposante Transfiguration de notre Seigneur Jésus Christ dont il est l’un des interprètes les plus accomplis. En effet, Kent Nagano avait donné la première aux Etats-Unis de cette partition fascinante avec son orchestre de Berkeley. Depuis, elle l’accompagne régulièrement à travers les salles de concert jusqu’à ce concert munichois de juin 2017, repris quelques semaines plus tard au Festival de Salzbourg dont ce fut l’un des évènements.
Créée en 1969, cette partition nécessite en effectif choral et symphonique assez gigantesque sans oublier 7 solistes instrumentaux (piano, violoncelle, flûte, clarinette, xylorimba, marimba et vibraphone). D’une durée d’une grosse heure et demie, l'œuvre est l’une des plus redoutables à transcender par la nécessité de gérer tant la durée de la partition que les équilibres entre les pupitres et les masses chorales hiératiques. Pour l’auditeur, elle est également d’une grande exigence tant la beauté de cette musique se savoure autant dans les détails que dans les ensembles. Il va sans dire que Kent Nagano est à son affaire dans cette partition dont il connaît les moindres recoins et dont il habite les deux septénaires d’une tension mystique parfaite. Il est au pupitre de l’un des meilleurs orchestres du monde et de l’un des meilleurs chœurs d'Europe, tous rompus aux plus exigeantes musiques du XXI siècle. C’est absolument parfait, à l’image de l’ensemble de solistes mené par Pierre-Laurent Aimard, autre grand connaisseur de l'œuvre de Messiaen. La discographie de la partition est des plus relevées (Dorati/Decca, Chung/DGG, Cambreling/SWR), mais cette version est sans contestation un sommet.
En complément, on retrouve le chef pour dans Poèmes pour Mi en compagnie de l’excellente Jenny Daviet. Cette dernière, malgré ses qualités, ne peut rivaliser vocalement avec d’autres grandes interprètes : Françoise Pollet avec Boulez (DGG), Renée Fleming avec Alan Gilbert (Decca) ou l’étonnante Jane Archibald avec Ludovic Morlot (Seattle Symphony). On se concentre là sur la direction du chef à la fois lisible, plastique et hautement musicale. Le coffret se clôt par Chronochromie pour orchestre dont Nagano livre une lecture magistrale par le soin apporté aux détails et aux couleurs. La virtuosité des pupitres de l’Orchestre Symphonique de la radio bavaroise est d’une qualité idoine dans cette partition redoutablement exigeante au niveau technique. Chef et orchestre sculptent un vitrail musical, irradiant de couleurs.
Ce coffret est un évènement musical, par sa portée éditoriale et sa qualité artistique. On est d’autant plus ravis que ces gravures complètent la discographie du chef, en particulier dans une partition dont il est l’un des grands interprètes historiques.
Son : 10 – Livret : 10 – Répertoire : 10 – Interprétation : 10
Pierre-Jean Tribot