Un Berlioz impressionnant  avec Daniel Harding et l'OSR

par

Au cours de chaque saison, l’Orchestre de la Suisse Romande donne la plus grande part de ses concerts au Victoria Hall de Genève. Mais il en présente six ou sept à Lausanne dans un Théâtre de Beaulieu qui vient d’être entièrement rénové, offrant une qualité d’écoute dans une salle vaste qui comporte 1600 places assises.

En a largement bénéficié une partition requérant de larges effectifs comme le Roméo et Juliette de Berlioz, proposé à Genève le 23 novembre, à Lausanne, le lendemain. 

Pour cette œuvre monumentale, le compositeur sollicitait un grand orchestre de près de 90 instrumentistes incluant un ophicléide, un tambour de basque et une caisse claire. Et le chœur devait compter dans ses rangs au moins 30 soprani, 20 alti, 20 ténors et 20 basses. S’y ajoutaient trois solistes vocaux : un contralto, un ténor et une basse.

Pour ces deux concerts, Daniel Harding, que l’on vient d’applaudir à la tête du Concertgebouw Orchestra d’Amsterdam, est aux commandes. D’emblée, il s’attaque à l’Introduction avec une vivacité de tempo qui dépeint l’effervescence des factions rivales, s’achevant en points de suspension afin de laisser place au Prologue. Devant l’estrade, apparaît le magnifique Chœur de l’Orchestre de Paris (préparé par Marc Korovitch) en une formation réduite à une vingtaine de chanteurs. Tournant le dos au chef, il égrène la déclamation mesurée « D’anciennes haines endormies », avant de dialoguer avec Marie-Nicole Lemieux, négociant, dans une somptueuse ligne de chant, les strophes « Premiers transports que nul n’oublie », puis avec le ténor Andrew Staples, évoquant d’un timbre clair « Mab ! la messagère fluette et légère ». 

Resté seul, l’orchestre produit un coloris diaphane par des cordes translucides s’apitoyant sur la tristesse de Roméo, personnage qui, comme Juliette du reste, n’est pas incarné par un chanteur. Le hautbois est ici le porte-parole de son désarroi que les bruits lointains du bal vont engloutir, avant que n’éclate la Grande Fête chez Capulet, tirée au cordeau mais manquant un peu de cette ivresse dionysiaque que lui insufflait un Charles Munch. Par contre, la Scène d’amour joue ici de l’imbrication des lignes pour amener le crescendo d’expression et laisser chanter les violoncelles éperdument passionnés. Le Scherzo de la Reine Mab cultive un pianissimo subtil dans le canevas arachnéen des cordes, parvenant à une finition impressionnante le second soir. 

Pour la dernière partie, intervient le chœur au grand complet qui modèle un coloris neutre en psalmodiant « Jetez des fleurs pour la vierge expirée » sur cette note « mi » imperturbablement répétée en dépit des audaces harmoniques trouant le tissu orchestral. Devant la tombe de Juliette, l’Invocation de son amant est portée par le cor anglais, la clarinette et le basson en un legato intense qui culminera avec le Réveil de la jeune fille. Au début du Final se faufile, parmi les rangs d’instrumentistes, la basse incarnant Frère Laurent. Le premier soir, Mikhail Petrenko, victime d’une extinction de voix subite, a tenu à assurer sa partie avec les moyens qui lui restaient, sans pouvoir parvenir à un résultat convaincant, ce que montrait bien son visage défait. Au pied levé, le lendemain, Patrick Bolleire l’a remplacé avec une autorité impressionnante dans le declamato de son air « Pauvres enfants que je pleure » ; puis il a développé ce grandiloquent  Serment de réconciliation à la Meyerbeer qui est assurément l’une des faiblesses de cette partition composite. Mais quelle indéniable grandeur elle dégage et quel succès pour un concert qui a été mémorable le deuxième soir !

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, le 23 novembre 2022
Lausanne, Théâtre de Beaulieu,  le 24 novembre 2022

Crédits photographiques : Julian Hargreaves

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.