Une Chauve-Souris festive à Lausanne

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En ombres chinoises, se profile Vienne, la cité impériale avec sa Grande-Roue au Prater. Devant une haute maison en forme de tour qu’escalade un ténor hurlant à tue-tête son amour, est projeté un message-invitation du Dr Falke à Gabriel von Eisenstein, tandis qu’un acrobate chauve-souris se jette dans le vide. C’est ainsi qu’Adriano Sinivia présente cette Fledermaus (chantée en allemand avec les dialogues parlés en français) aussi déjantée que sa Cenerentola de l’automne 2015, en se mettant dans la peau d’un Falke ridiculisé par son accoutrement de mammifère volant, qui ne songe qu’à se venger de son compère.

Dans des décors et costumes loufoques d’Enzo Iorio sous les lumières de Fabrice Kebour, l’action ne cesse de pétiller à partir de la chambre de bonne d’Adèle descendant des cintres, tandis que la cuisinière et le réfrigérateur glissent dans la cuisine, au moment où Alfred, le soupirant éconduit, tombe de la cheminée en précédant l’arrivée du directeur de prison et de ses acolytes, descendant en parachute. Chez Orlofsky, drag-queen à collerette noire comme la méchante reine de Blanche-Neige, un double escalier jouxte un aquarium géant et surplombe une vaste salle où se presse une gentry huppée à lamé argenté et smoking violacé que l’on retrouvera au dernier tableau en une prison où les geôles glissent au gré des velléités du directeur de l’établissement, un Frank en highlander à bonnet à poil, ivre mort, confondant sa théière avec le girophare. Mais quelle idée saugrenue de réduire Frosch, le gardien, à une sorte de travelo à crinière rouge (Shin Iglesias), personnifiant la vengeance ! C’est finalement le seul point noir dans une production qui vous fait rire d’un bout à l’autre !

Autre élément négatif, la direction musicale de Frank Beermann qui peine à mettre en place le plateau, ce qui provoque de fréquents décalages avec le Chœur de l’Opéra de Lausanne (préparé par Jacques Blanc) et le Sinfonietta de Lausanne, au demeurant remarquables. Et surtout manquent l’esprit festif et la légèreté que restitue néanmoins la distribution vocale.

Le plus convaincant est assurément l’Alfred de Jean-François Borras, jouant les forts ténors en singeant Otello ou le Duc de Mantoue pour faire valoir son ramage. Marie Lys fait craquer la salle avec une Adèle au charme ravageur, usant de tous les artifices du soprano léger pour paraître irrésistible. Eleonore Marguerre masque un medium peu consistant par un aigu solide qui confère sûreté et maturité assumée à sa Rosalinde fine mouche. Stephan Genz a la diction parfaite du récitaliste qui donne un juste poids à un Einsenstein à la répartie facile face au Dr Falke de Björn Bürger, son souffre-douleur qui sait lui tenir tête par le grain corsé de son baryton-basse. Et c’est aussi par l’opulence du coloris cuivré que s’impose le Prinz Orlofsky de la mezzo Lamia Beuque. Le Frank de Jean-François Vinciguerra, bourru si sympathique, rivalise de drôlerie avec l’Ida pimpante  de Yuki Tsurusaki et le Dr Blind de Pierre-Yves Têtu, perdant la face à chaque intervention. Et les spectateurs s’amusent follement devant ce spectacle qui est une véritable fête !

Paul-André Demierre

Lausanne, Opéra, première du 21 décembre 2018

Crédits photographiques : Alan Humerose

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